Un premier film magnifique en forme de récit d’initiation, où un jeune homme découvre à New York la culture afro-queer et remet son identité en question.
Le titre de ce premier film de la jeune réalisatrice américaine Danielle Lessovitz renvoie au lieu où l’histoire débute. Port Authority est le nom du principal terminal de bus de Manhattan. Ce lieu de transferts est ici abordé comme celui de tous les possibles.
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Paul (interprété par Fionn Whitehead, révélé dans Dunkerque) arrive à New York depuis Pittsburgh sans le sou, dans l’espoir de renouer contact avec sa sœur aînée. Le regard hagard, l’attitude paumée, le pas hésitant, ce candide sort de la gare et s’assied quelques instants sur le trottoir. Il aperçoit une troupe de jeunes Afros aux tenues branchées, qui contraste avec son look de petit Blanc fraîchement débarqué de Pennsylvanie.
Malgré ce décalage, Paul a un coup de foudre, à la fois pour la culture afro-queer que ce groupe représente et surtout pour l’une de ses membres, la belle Wye (interprétée par Leyna Bloom, fascinante danseuse, actrice et top model transfemme).
Deux récits parallèles
L’intelligence du scénario est d’abord de retarder le moment de contact entre Paul et Wye. Ce soir-là, ils n’échangeront rien d’autre qu’un regard. Les jours suivants, Paul se fait rejeter par sa sœur, qui refuse de l’héberger, mais fait la connaissance d’un garçon de son âge, qui lui propose un lit dans un squat et un emploi sordide : faire pression sur des locataires pour qu’ils paient leur loyer et les expulser le cas échéant.
Paul mène alors une double vie : il passe ses nuits au bras de Wye, au rythme des soirées voguing auxquelles elle participe, et ses journées en compagnie de la bande viriliste des déménageurs-rançonneurs.
De ces deux récits parallèles, le film tire non seulement un instantané de la précarité new-yorkaise, mais aussi deux façons opposées d’habiter le cœur de la mégalopole américaine, et donc le monde : d’un côté la solitude d’un capitalisme normatif et cruel, et de l’autre la solidarité militante et hédoniste des communautés LGBTQ+.
Un film d’émancipation
Le film ne cesse de faire vaciller et de redéfinir les notions d’attachement à une société, à un foyer, à un genre sexuel et à une famille.
Le tropisme initial de Paul pour Wye (prénom qui en dit long sur l’ambition de remise en question du film) est une sublime romance bio-homeless-whiteboy meets trans-poor-blackgirl, où la question trans n’est ni un tabou ni un obstacle à l’amour du bioboy (enfin !), il est en plus in fine le terrain d’une magnifique ouverture à soi et aux autres.
Ce que Paul met à l’épreuve dans ce récit d’initiation, c’est sa façon d’être un homme, d’aimer, de vivre et d’exploiter ou pas l’autre. Lorsque, à la fin du film, il finit par inventer sa propre catégorie de culture ball, « white boy realness », il affirme la singularité de son identité, en dehors de toute tyrannie de genre, de classe ou d’ethnie, ce n’est pas rien.
Sous ses atouts de charme (son duo d’acteurs et son scénario très écrit), Port Authority est un film d’émancipation politique, sexuelle et sociale des plus puissants.
Port Authority de Danielle Lessovitz, avec Fionn Whitehead, Leyna Bloom, Louisa Krause (E.-U., 2019, 1 h 42)
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