Dans “Port Authority” de Danielle Lessovitz, Leyna Bloom incarne une danseuse trans habituée des ballrooms. Ce rôle, qui n’est pas sans rappeler sa propre vie, elle l’a accepté “pour faire connaître cette communauté au-delà des clichés” et mener le combat de la visibilité.
Une chevelure de lionne en pétard, des jambes à n’en plus finir qu’elle prend un plaisir visible à croiser et décroiser jusqu’au plus haut d’une minijupe en cuir, une poitrine généreuse moulée dans un top panthère, une bouche à embrasser, un regard de faon. Leyna Bloom est une magnifique femme américaine de 25 ans qui incendie l’écran dans Port Authority, son premier rôle dans le premier film remarqué de Danielle Lessovitz, présenté à Cannes au mois de mai puis au récent Festival du cinéma américain de Deauville.
Mais le jour de la rencontre avec Leyna Bloom dans un salon de l’hôtel Royal de Deauville, ce n’est pas à son physique que l’on veut parler mais à son mental, impressionnant d’intelligence et de lucidité. Tous les médias en ont parlé et elle ne s’en cache guère : avant d’être une fille, Leyna fut un garçon, et elle n’est pas la dernière à nous montrer sur son compte Instagram ses photographies à l’âge de 10 ans. Elle dit : « Il était mignon, non ? » Et le disant de cette façon, en insistant sur le « il », tout est dit de son choix, sa détermination et sa fierté d’être devenue ce qu’elle désirait être.
Dans Port Authority, elle joue une transgenre de la communauté des ballrooms à New York, qui s’éprend d’un jeune homme blanc. Leyna est aussi danseuse et mannequin, habituée des podiums de la fashion week new-yorkaise. Elle insiste sur un point à ses yeux crucial : « Wye, mon personnage dans le film, c’est un rôle, une composition. C’est moi et c’est une autre. Rien que de très ordinaire il me semble, surtout pour quelqu’un qui comme moi a changé de genre. »
“Ma scène originelle, c’est celle de ces soirées extravagantes”
Certes, mais c’est tout de même ce milieu des ballrooms queer et du voguing qui a été décisif pour elle. « Je suis né à Chicago dans une famille modeste mais tolérante, parce qu’elle-même très mélangée : ma mère est originaire des Philippines et mon père est afro-américain. J’ai eu la chance assez rare que ma famille me soutienne. Mais cette famille biologique ne me suffisait pas. A 15 ans, j’ai intégré à New York ce monde des houses (la culture ball est structurée en maisons, qui font office de « familles » pour ses membres – ndlr), et particulièrement la house Miyake-Mugler qui est devenue mon vrai biotope. J’y ai rencontré des gens incroyables qui m’ont protégée et donné la force de voir l’existence autrement. Ma scène originelle, c’est celle de ces soirées extravagantes où le look et la danse sont si importants. C’est d’ailleurs dans un bal queer à Philadelphie que quelqu’un m’a abordée en me disant qu’il cherchait une femme trans de la communauté des ballrooms pour tenir le principal rôle dans un film indépendant. »
Pourquoi a-t-elle accepté ? « Pas seulement pour faire mousser mon ego (éclat de rire) mais pour faire connaître cette communauté au-delà des clichés et des fétichisations. » On lui rappelle que sur le phénomène du voguing et des houses, il y a déjà eu en 1991 le sensationnel documentaire Paris Is Burning de Jennie Livingston et plus récemment la série Pose. Son sourire vire alors au dubitatif : « Cette visibilité est fondamentale, mais c’est peut-être l’arbre qui cache la jungle. Port Authority à Cannes puis à Deauville, c’est formidable et courageux, mais le problème reste autrement douloureux pour une jeune trans au fin fond du Minnesota qui a intérêt à raser les murs si elle veut simplement survivre. »
https://youtu.be/JonjKT9numQ
“Tout bougera grâce à l’éducation des enfants”
Leyna Bloom énumère alors la longue liste des choses simples qui ne sont pas accessibles aux trans aux Etats-Unis, notamment l’équivalent de notre Sécurité sociale. On suppose que les discriminations se sont aggravées avec l’arrivée de Trump ? « Je refuse de prononcer le nom de cet homme qui n’est pas mon Président mais le porte-parole de la part la plus sombre des Etats-Unis. A l’époque d’Obama, on a vécu huit années de rêve. Ce rêve est systématiquement massacré par le cauchemar qui occupe la Maison Blanche. »
Et puis soudain, pour illustrer que rien n’est jamais définitivement acquis, jaillit une confidence sidérante : « Pour le festival de Cannes, j’avais demandé si une fameuse maison de couture française que j’adore pouvait me prêter des vêtements. La réponse fut simple : pas question. Pourquoi ? Je vous laisse imaginer leurs raisons… »
Autant dire que malgré sa visibilité militante, Leyna Bloom, qui se dit pourtant « optimiste », est toujours sur la brèche des combats à venir. « On m’a proposé d’être le principal (l’équivalent du proviseur en France – ndlr) dans un collège de Philadelphie. C’est un bon plan de carrière, car je suis convaincue que tout bougera grâce à l’éducation des enfants à qui on devrait enseigner qu’il n’y a pas de fatalités imposées, seulement des destins choisis. » Arrêter de détester ce qu’on est, vivre sa vie. Un programme scolaire encourageant. Surtout si c’est Leyna Bloom la maîtresse.