Reportage à Brighton, pour le vaste festival The Great Escape : 250 groupes en trois jours et nuit, et des découvertes majeures.
Troisième jour
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Brighton est optimiste, en présentant des groupes en plein air pour ce troisième et dernier jour de festival The Great Escape.
[attachment id=298]Le ciel tire franchement la gueule quand, sur le parvis de la nouvelle bibliothèque, débarque le psychédélisme joueur d’Esser (photo). Il devrait pourtant faire grand soleil, avec des nuages roses, pour accueillir ces dubs dodus, ces chansons à tiroirs, ces collages art-pop à la Gorillaz, secoués de percussions multiples. “Cette chanson s’appelle Satisfaction, elle est à propos de la copine du bassiste” déconne Ben Esser, chanteur culotté de ces tangos dingos, de cette electro bricolo. Il est 4h et effectivement, Esser est le groupe idéal pour animer les goûters. D’ailleurs, sur le parvis, ce sont les enfants qui dansent avec le plus de joie et d’abandon – le Manège Enchanté tient là son orchestre, entre Foals et folie douce.
On grimpe en tranche d’âge, mais à peine, avec Cheeky Cheeky & The Nosebleeds, un des groupes préférés du circuit ado anglais. Ça piaille dans la queue, comme à l’école le jour où la cantine sert les frites. A deux guitares azimutées, ils jouent une pop dératée, scandée par un chanteur contorsionniste. On croirait parfois un album des Smiths jouée en 45t, voire Bo Diddley traficoté à l’hélium. Tout le monde semble monté sur ressorts dans ce groupe sacrément chargé en testostérone, où chacun joue en faisant des grimaces pas possibles des chansons qui ne descendent jamais à moins de 160 kmh. Et pourtant, malgré la frénésie, on reconnaît parfaitement des refrains hilares, des mélodies à dodeliner béatement. Soudain, Supergrass prend un gros coup de vieux.
Ambiance nettement moins enjouée et bon enfant dans les caves du Ocean Rooms, où les Talk Taxis font descendre la température de quelques degrés avec un rock épileptique, sous influence de Joy Division (comme tout le monde). Le groupe possède pourtant ce supplément d’humanité et de flamboyance qui le sépare des simples fossoyeurs de Ian Curtis. Il y a fort à parier qu’on empruntera ces Taxis dans le futur proche – parfois même pour aller danser.
Encore plus sombres et électriques, les Québécois de We Are Wolves ouvrent en grand les portes de l’enfer depuis les caves du Water Margin. A base d’orgue acide et de guitares vraiment coupantes, leur rock a la bave aux lèvres et un air franchement inquiétant – on décampe voir Santogold, qui, au dernier moment, a eu la mauvaise idée d’annuler. La transition entre ce rock forcené et cette pop archi-sensuelle aurait pourtant été cocasse.
On en profite pour remonter au Barfly où joue Bombay Bicycle Club l’un des autres groupes vedettes du circuit underage – ces concerts organisés par les ados pour les ados. Ironie du sort : le concert est interdit au moins de 18 ans, plantant les fans les plus virulents de ce groupe lui-même encore mineur et déjà promis aux plus hautes fonctions. Il faut dire qu’ils tiennent en Jack Steadman un chanteur particulièrement doué, au romantisme sans manières, sans geignardises. Intensément mélodiques, musicalement très fins, ils pourraient très facilement être les premiers à tirer, au sommet des charts, les marrons d’un feu ado allumé par Cajun Dance Party ou Pull In Emergency. C’est simple : chaque chanson possède un air familier de single, dans une tradition lyrique britannique qui, de U2 à Coldplay, a fait la fortune des stadiers et des marchands de briquets (ils s’allumeront vite quand le groupe jouera How We Are en rappel).
Le lobby australien du festival (deux personnes) fait depuis deux jours la retape pour Gotye, un one-man band dont on connaît un excellent remix par Supermayer. Sur scène, Gotye s’accompagne seul d’un Mac, véritable orchestre symphonique à sa baguette, et d’une multitude de percussions. D’où cet étrange et ravissant équilibre entre des mélopées rêveuses (à la Air/Royksopp) et l’énergie physique d’un batteur de Muppet Show. Toute sa musique fonctionne ainsi sur le fil, à la fois riche en accumulations et épurée, fragile (sa voix pâle) et mécanique (ses programmations opulentes). Lorgnant parfois vers l’ambiant, voire le easy-listening ou les BO, il évoque ses compatriotes Avalanches, pour cette science hasardeuse des empilements.
A l’autre bout de la ville, devant un public adulte et sérieux – la salle du Old Market est sponsorisée par la mensuel Mojo –, Lightspeed Champion rate complètement son concert électrique, désinvolte devant un public désintéressé. Le héros mystérieux de l’adolescence anglaise est victime d’une erreur de casting car ce soir, le public semble venu se fracasser la tête contre le mur du [attachment id=298]son des terrifiants Black Mountain (photo). Le concert démarre pourtant en faux calme, avec une beauté incantatoire qui évoque Mazzy Star un beau jour d’apocalypse. Black Mountain ne possède pas un orgue : c’est un ogre, qui a mangé tous les serpents à sonnette du désert de Mojave, et quelques acides en passant. Dans leurs moments les plus hébétés, les Canadiens jouent comme le Velvet du 69 Live, défoncé aux tranquillisants pour grizzly, inventant un folk menaçant, ténébreux, gothique. Mais très vite, l’orage qui menaçait dehors explose dans la salle – et le vent qui secoue Brighton dehors n’est alors plus qu’une aimable farce. Car Black Mountain a sorti ses guitares les plus méchantes et joue lourd, puissant, maléfique, dérangé, entre un Led Zeppelin des bois et un Crazy Horse pris dans des barbelés rouillés. Dans la salle, des anciennes victimes pas forcément indemnes du LSD et des jeunes chevelus venus à cette bacchanale par le stoner-rock se regardent avec des yeux aussi admiratifs qu’effrayés : grand concert.
Car le nom de ce groupe tombe bien : Black Mountain restera comme un des sommets de cette édition 200 de The Great Escape. Ce soir, la grande évasion se fera donc par escalator, vers l’enfer.
Deuxième jour
La seconde journée de The Great Escape commence sur les chapeaux de roue, à l’heure ou les festivaliers se réveillent.
Au Prince Albert, un pub légendaire du quartier de la gare – le seul bâtiment de Brighton à avoir conservé, protégé même sur ses murs un graffiti de Banksy –, ce sont les Parisiens de Brooklyn qui sont chargés de revitaliser les troupes, dès 13h. T-shirt Sham 69 ou chemisettes Fred Perry : on revendique sur scène son anglophilie, largement soulignée par un set énervé et mélodique, où les racines sont effrontément anglaises – de Jam aux Kinks, les parents ont donné à ces morveux une belle éducation. Les quelques cm² de la scène n’empêchent pas leur chanteur de faire des bonds olympiens, pendant que le groupe joue tendu, sec, instruit mais jamais pédant, totalement décomplexé. D’ailleurs, c’est un label anglais qui sortira, avant la France, le premier album de ce groupe qui doit se maudire d’être ainsi né, cruelle facétie du destin, du mauvais côté de la Manche.
Le French Music Bureau donne réception à la Spiegel Tent, l’occasion de croiser quelques amis, fins limiers venus de France ou du Québec repérer eux aussi les nouvelles pousses pour leurs propres festivals. Bravo, donc, à M For Montréal et aux Trans pour leur curiosité intactes. On y entend Vanessa, de Vanessa & The O’s pour un set yéyé délicieux aux platines, puis un concert solo de Peter Von Poehl, qui présente ses nouvelles chansons : le blondinet, agaçant de facilité et de grâce, semble avoir passé un pacte avec les anges.
[attachment id=298]On continue la tournée des Françaises et Français avec Soko (photo), pour un showcase acoustique qui, déjà, attire les foules (son “vrai” concert, le soir, affichera très vite complet). Son humour absurde et sa manière constante d’attirer le public dans ses filets en font déjà une sensation du circuit live anglais. Sans cabotiner, elle joue à fond de ce personnage lunaire, entre Jonathan Richman et Kimya Dawson, et provoque régulièrement fous rires et attendrissements. Malgré la potacherie du set, malgré ces changement imprévus entre une grosse guitare et son bonsaï (un ukulélé), entre percus-jouets et clavier Bontempi, la mise en scène lo-fi n’est qu’un leurre, qui tente de dissimuler à quel point Soko est déjà une passionnante musicienne, et une chanteuse hors-concours. Il suffit, par exemple, d’un Parents Don’t Lie pour se convaincre que la Française n’est pas la one-hit wonder de I’ll Kill Her, son tube Myspace qu’elle refuse intelligemment de jouer. Elle possède cette grâce loufoque des vrais timides, qui autorise tout, et chante avec une joie et une béatitude contagieuses. Elle fait semblant d’être désinvolte, voire approximative, mais elle ne trompera plus longtemps son public, qui connaît déjà par cœur, après un refrain, ses tubes surréalistes, où elle parle de chatons, de beurre de cacahouètes ou de Phil Spector dans un anglais délicieux. A la fin du concert, elle se retrouve même avec un tigre sur la tête (pas encore dans le moteur) et dans le contexte, franchement, ça paraît normal.
Ambassadeur de CQFD à The Great Escape, les Nordiste de Curry & Coco sont à l’église : dans une Unitarian Church un peu vide, ils jouent pourtant comme si nous étions mille, qu’il y avait le feu au Macumba, un concours de t-shirt mouillés et des bandes de pare-brise à gagner au bar. Fascinant mélange de pop à gorge déployées et de krautrock sévère, les deux frères fêtent dans une orgie sonique les noces de Kraftwerk et des Jackson 5. Le groupe est ravi d’être à Brighton, dans une ville où subsiste des Burger King. Il s’est fait photographier devant un de ces restaurants et a même composé une chanson, loufoque et tordante, à sa gloire. L’église abrite, dans un coin sombre, un piano à queue : le groupe abandonne ses synthés vintage et sa batterie-métronome pour se livrer à une brianwilsonnerie assez bluffante, rappelant que derrière l’énergie et les gimmicks percutants, ce groupe sait aussi sacrément composer – sa simplicité de façade est fruit de dur labeur. A eux deux, ils sont les B-52’s du 21e siècle, habillés en tennismen croates de 1975. Ils reprennent, détournement en mode mineur, les Girls Want To Have Fun de Cindy Lauper, histoire de rappeler leur fidélité sans borne à la pop MTV. “You say who’s next ?, scandent-ils. We say us !” Demain, c’est certain, la France devra rouvrir ses Burger King.
L’Hexagone continue de répandre son mauvais esprit avec Bitchee Bitchee Ya Ya Ya, collectif récemment propulsé par un single sur le glorieux label Kitsuné. Stupeur : aux claviers possédés, on reconnaît l’infatigable David Stankze, plus calme dans les habits de Tahiti Boy. Reconverti en druide funkadelicien, il donne un concert hautement énergétique, accompagné d’une chanteuse tigresse qui renvoie jusqu’à CSS au couvent des oiseaux. Sale, sexy et torride, le concert électro-psychédélique met le Komedia en ébullition – y compris des adolescents, ce qui est toujours bon signe quant à la sincérité des intentions et à l’absence d’exercice de style.
On court au Barfly, pour heureusement ne voir que les dernières chansons de We Smoke Fags, groupe que la loi Evin aurait dû interdire. Laid, lourd et pataud, ce groupe surestimé tente de nous faire croire – comme des dizaines d’autres poilus anglais du moment – que le grunge sera le prochain truc. Prudents, les Londoniens conservent quand même en arrière-plan des rythmiques groovys à la Bloc Party, à faire danser un mort et sa femme. On recense même quelques singles possibles et colossaux. On ne leur souhaite pas.
[attachment id=298]On n’est pas là pour ces fadaises, mais pour Ebony Bones (photo), dont les deux premiers singles comptent parmi les plus fascinants ovnis anglais des derniers mois. Surprise : visiblement, la Londonienne a encore quelques mois d’avance sur une hype obligatoire, et joue devant un Barfly clairsemé. Ça ne l’empêche pas de dynamiter un set proche de la transe, qui conforte un peu plus encore dans la certitude que la survie même de la pop-music se joue, avec maladresse encore mais conviction, entre les mains noires et libres de quelques femmes d’action – MIA, Santogold ou Ebony Bones. Mais avant d’être sonique, le choc est visuel : un sosie de Johnny Depp/Pirate des Caraïbes aux percussions compliquées, un guitariste et un bassiste qui ne rigoleraient pas forcément en matant Spinal Tap, un clavier/trompettiste déguisé en Inspecteur Gadget, deux choristes échappées d’un bordel de Louisiane et Ebony Bones elle-même, feu follet fluo aux danses possédées. Immédiatement, la Londonienne libère le virus, dans des free-songs qui doivent autant à Sun Ra qu’aux Slits, à ESG qu’à George Clinton. Pas beaucoup de chansons telles qu’on les connaissait dans l’ancien monde, mais des déflagrations ivres et fiévreuses, qui rendent les têtes perplexes mais les corps heureux.
Pour se remettre de ces uppercuts, il faut filer au doux et cosy Theatre Royal, où le label local Fat Cat (Sígur Ros, Panda Bear…) organise en grandes pompes une veillée folk. D’abord avec l’Américain Tom Brosseau, bluesman pâlichon et lynchien pour un concert magistral où flottent, amoureux, les fantômes de Fred Neil ou Leonard Cohen. Ensuite avec la revenante Vashti Buynan, que Fat Cat a poussée tendrement vers le studio après quarante ans de silence. Héroïne justifiée de 97% des nouvelles héroïnes du folk perturbé, l’Anglaise chante comme si 1968 était hier, entourée d’un groupe aux petits soins, aux arrangements aussi inventifs qu’humbles. Sa voix demeure ce mystère inouï de liberté et de chagrin, de bucolisme et d’hébétude. Just Another Diamond Day, chanson fondatrice et désormais quadra, donne une fois encore l’impression d’avoir 16 ans, avec sa soif de vie, sous sourire radieux, son innocence inquiète, sa grâce intouchable. On parle de sa chanson : on pourrait tout aussi bien parler de Vashti Bunyan.
Mais c’est l’heure de danser : Primary 1, qui affole les labels depuis des mois, est justement en ville, avec son groove sophistiqué, qui allie l’érudition d’Hot Chip à la malice de Metronomy, avec qui il a tourné. Déjà réputé pour ses remixes, le groupe londonien n’a pas encore sorti son premier single, mais est déjà une impressionnante petite machine à tubes ludiques, voire lubriques quand il joue dans le slip de Prince.
C’est dans un coffee-bar de Kemptown, qui se prend ce soir pour un café littéraire du Village en 67, que l’on finit la soirée en parfaite compagnie, avec une fois encore, des Français anglophiles issus de CQFD : Syd Matters. Chorales angéliques, arpèges bien dégagés derrières les oreilles, ferveur palpable : le groupe est parfait, feutré mais très présent, sans doute le meilleur que n’ai jamais eu le Parisien. De plus en plus libéré de ses influences, de tout style, de toute préciosité, Syd Matters reçoit un triomphe. Arrivé en cours de concert, David Stankze est venu en ami (tous ces musiciens partagent ensemble des groupes). Il n’est toujours pas redescendu de son concert cosmique avec Bitchee Bitchee Ya Ya Ya. “Le meilleur de ma vie.”
Ce soir, sur la plage de Brighton, on voyait très clairement la France, à l’œil nu.
Premier jour
Au festival The Great Escape, l’ambiance est estudiantine, voire studieuse. Avant les concerts du soir, ce festival qui s’établit patiemment comme le pendant européen de South By South-West (Austin, Texas) en matière de découverte de nouveaux talents, organise des symposiums aux intitulés aussi sexys que Y a-t-il un retour sur investissement pour les marques et les agences de pub qui dépensent sur la musique ? ou Comment un manager peut obtenir 20 000 ventes sans l’aide de personne ? Des prestigieux orateurs (Seymour Stein, fondateur de Sire, Anthony Volodkin, inventeur de l’aggrégateur de blog Hype Machine) ou Sam Adams (boss du site Drowned In Sound) font partie de cette impressionnante brochette d’orateurs venus du vieux monde (maison de disques) comme du nouveau continent (internet, éditions, management).
Mais passé 19h, on range les cartables, le rock quitte la théorie et les prévisions pour envahir une trentaine de salles de Brighton, que l’on peut relier en scooter, pilotés par des mods plus vrais que nature. Un marathon particulièrement frustrant quand, par exemple, Wild Beasts, Teenagers, Pete & The Pirates, Yeasayer, Soko, Saul Williams et Ebony Bones jouent à la même heure.
Les accents révèlent un public venu d’Angleterre entière, curieux de ce brassage unique de nouveautés. Beaucoup d’étrangers aussi : on reconnaît le délégué japonais ou allemand à la caméra vidéo greffée au bout de son bras.
[attachment id=298]On commence en douceur avec FrYars (photo), dont la coquetterie typographique trouve une extension dans une pop sophistiquée, voire maniérée, aux ambitions sans borne. One-man band empilant avec nonchalance folk et pop, FrYars devient un groupe extravagant sur scène, à l’avenir certain. Suit School Of Language (le projet solo de David Brewis, de Field Music) qui, question langue, parle couramment et avec préciosité une pop incantatoire et cosmique.
Plusieurs magazines et stations de radios présentent leurs propres programmations : on est attentif à celle du luxueux mensuel Artrocker, bible des jeunesses électriques, qui a la bonne idée d’inviter les Liverpuldiens de Elle S’Appelle, dont la power-electro-pop fait le plein. Leur mélange hyperactif de new-wave et de pop exaltée transforme la cave du Water Margin en étuve, en concours de pois sauteurs.
[attachment id=298]On cavale pour saisir au Pressure Point une des sensations de ce festival : les Wild Beasts (photo). Fringués comme des jeunes prolos sur une pochette de ska de 1979, avec des gueules de petits skinheads teigneux, leur dégaine contraste de manière stupéfiante avec la voix de fausset de Hayden Thorpe, nettement plus proche de Mika ou Rufus Wainwright que de Sham 69. Leur jangly-pop frénétique et leur power-soul à yeux bleus rappelle autant les heures glorieuses du label écossais Postcard (Orange Juice notamment) que ses héritiers les plus directs, Franz Ferdinand, dont ils évoquent les débuts affolés, roides et pourtant dansants. Toute une scène largement défendue par le label Domino de Londres, qui a également signé, logique, les Wild Beasts.
Il faut courrir à nouveau pour saisir le dernier refrain des Smallwhitelight, groupe de Brighton programmé au minuscule Freebutt, temple d’un punk-rock bon enfant où la température monte parfois à de tels degrés qu’il pleut dans la salle ! La présence du très charismatique Jim Oxborrow est presque une anomalie dans cette micro-salle, avec ses refrains gonflés à l’EPO et établis, miraculeusement, entre l’âpreté d’un rock américain et l’aisance mélodique anglaise. Des chansons qui pourraient jouer dans les stades (pourquoi les Kooks mais pas eux ?) – et pas seulement en athlétisme.
Dans le parc en face, un cirque de glace et de verre accueille lui aussi des groupes. On est venu voir Emmy The Great, perle (et peste) noire d’un folk ébouriffé, avec le secret espoir d’entendre sa reprise acoustique et agitée du Where’s My Mind des Pixies. Mais elle est remplacée par les Français John & Jehn, qui ont quitté la région de Raffarin et Royal (on se demande pourquoi) pour s’installer à Londres, où commence à circuler avantageusement leurs vraies chansons-de-couples (calins et coups de griffe). Dommage que ces pop-songs boudeuses et pourtant dansantes, aux charmes théâtraux, entre Kills et Suicide, n’aient pas attiré la foule.
Car le peuple de Brighton se presse au Concorde 2, pour offrir un triomphe aux Américains de Vampire Weekend. Avec leurs looks de premiers de la fac, ils offrent un concert assez bluffant, là où ils auraient pu se contenter du minimum face à ce public conquis d’avance. Premiers de la fac, option musicologie : étrangeté rarement entendue depuis les jeunes Talking Heads, auxquels on pense parfois, ils entraînent leurs chansons raides du côté de l’Afrique du Sud, voire du Nigéria de Fela. Ils jouent sec, nerveux, aussi amidonnés et élégants que leurs polos (comment un groupe en tournée peut-il porter des chemisettes à ce point repassées ??). Ils possèdent un vrai style, le geek-chic, déjà adopté par leur public, qui reprend en chorale joyeuse chaque refrain, chaque cri de guerre – scandant même à l’unisson le nom de Peter Gabriel sur Cape Cod Kwassa Kwassa. Dans la salle, soudain, pendant une version prodigieuse de A Punk, des béquilles sont brandies à bout de bras. On le pensait, mais on peut désormais officiellement l’écrire : ce groupe peut provoquer des miracles.
[attachment id=298]Une immense partie du public suit la concert à travers une porte latérale ouverte : colère d’étudiants qui ont payé 80 euros pour le bracelet des trois jours, et qui ont également été refoulés à l’entrée de l’autre événement du soir : le concert de Late Of The Pier (photo) au Barfly, une célèbre salle londonienne qui a ouvert une succursale à Brighton. A deux pas du Pier, le groupe joue effectivement tard. Dans le mano à mano qui, depuis le début du siècle, oppose, de New York à Londres, le rock anguleux et une électro débauchée, Late Of The Pier arrive peut-être un peu tard, notamment derrière les Klaxons ou Hadouken!. Mais les Anglais, plus trash, peuvent avancer de sacrés arguments, comme une culture très large (elle flirte parfois avec Zappa ou même le prog-rock), qui vient sacrément épicer le fluo, et une capacité à faire danser, avec des mélodies cagneuses et des beats nocifs, un public réduit en esclavage.
Demain, ça recommence, avec pas mal de Français à l’affiche, dont Curry & Coco, qui viennent représenter CQFD. Ceux Que la France a Délégués.
JD & Ben Beauvallet
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