Avec « Crash Park, la vie d’une île », Philippe Quesne réserve les premières représentations de sa dernière création au public du Festival. Interview.
Pourquoi avoir choisi d’inscrire votre dernier spectacle sur une île perdue au milieu de l’océan ?
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Philippe Quesne – A travers le théâtre, j’aime faire traverser des paysages qui nourrissent mon imagination. Dernièrement, je me suis baladé dans ceux de la peinture romantique allemande du XIXe siècle. Mais, depuis quinze ans, qu’il s’agisse d’un simple appartement, d’un parking enneigé ou d’un marécage infesté, chacun de mes spectacles a été un prétexte pour développer l’idée qu’un lieu peut devenir le premier protagoniste et le moteur d’une histoire. Je me demande d’ailleurs comment j’ai pu tarder autant à me poser la question de l’île. A toutes les époques, de La Tempête de Shakespeare à Oh les beaux jours de Beckett, l’île offre la possibilité de condenser le monde tout en jouant sur son statut de territoire hors champ pour mettre entre parenthèses le temps.
Vous faites rimer île et catastrophe aérienne.
C’est le deuxième grand thème du spectacle. Si l’île est le paysage qui met en branle une machine à fantasmes, l’avion comme représentant symbolique du progrès est une métaphore de notre époque où tout doit aller vite. D’année en année, il ne fait plus de doute que notre monde en expansion permanente va droit dans le mur. Traiter d’une catastrophe est une manière de parler de la fin annoncée des ambitions de l’ère industrielle. D’un autre côté, j’ai toujours besoin qu’il arrive un gros problème aux humains que j’entraîne dans mes aventures pour démarrer un spectacle… Alors, quoi de plus définitif qu’un crash sur une île déserte ? Le plateau reste l’endroit des possibles où l’on propose de multiples façons de dépasser les pires tragédies. Cela dit, je ne voudrais pas qu’il y ait de hiatus, l’île est aujourd’hui associée à une aire de désespoir avec la crise des réfugiés et des migrants en Méditerranée. Pour d’autres insulaires et en raison du réchauffement climatique, elle se transforme en un lieu de cauchemar dévoré par la montée du niveau des mers. Le spectacle est titré Crash Park, la vie d’une île. Je tiens beaucoup à cette référence aux parcs à thèmes. Il ne faudrait pas se méprendre sur le fait que cette pièce s’amuse d’abord à tirer les fils d’une fiction dans un monde de fantaisie. Avouer clairement l’artificialité du propos évite de créer des doutes dans les esprits.
Un tel postulat invite vos personnages à se questionner.
Je ne voulais pas en faire des naufragés obnubilés par le désir d’être sauvés. La poésie naît du fait qu’ils se retrouvent face à un monde matériel et intime réduit à l’état de pièces détachées. Ils doivent commencer par accepter cette situation. Etre en panne de leur vie planifiée sous-entend qu’ils ont maintenant du temps à foison et la possibilité de se réinventer.
Est-ce l’occasion de revisiter des œuvres de la littérature et du cinéma qui ont traité du sujet ?
En tant que spectateur, je sais qu’en m’installant dans un fauteuil de théâtre, j’amène le monde littéraire, artistique et cinématographique que je porte en moi. La charge émotionnelle que représente l’ensemble des imaginaires des spectateurs réunis dans une salle me donne le vertige. C’est un fait qu’on sait tous qui est Robinson Crusoé, que l’on a forcément entendu parler d’Ulysse dans Homère et que l’on a vu des films mettant en scène des pirates dans les Caraïbes ou James Bond sur l’île du Dr No. J’aime à penser que ces images et bien d’autres vont resurgir dans la tête de chacun et c’est pourquoi je n’ai pas besoin de m’y référer. Mais elles font évidemment partie du cadre qui m’inspire.
Va t-on retrouver l’équipe de vos comédiens ?
Chaque spectacle est un rendez-vous qui nous permet de poursuivre l’aventure ensemble. Pour poser la situation de départ, j’ai réalisé un film dans la carlingue de l’avion en vol. On y retrouve comme une charade de chair tous les personnages de mes spectacles précédents, il y aura aussi de nouvelles têtes puisque qu’on ne choisit pas ceux avec qui on voyage. Les passagers portent des masques sur les yeux comme ceux qu’on vous offre sur les vols longs-courriers. Ils sont tous endormis. La question qui se pose est de savoir si ce qui va suivre témoigne de leur nouvelle réalité ou s’ils vivent un rêve collectif.
Propos recueillis par Patrick Sourd
Crash Park, la vie d’une île, conception, mise en scène et scénographie Philippe Quesne. Du 8 au 10 novembre au Triangle, Festival TNB. Du 20 novembre au 9 décembre au théâtre Nanterre-Amandiers.
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