Les New-Yorkais de DIIV puisent une inspiration renouvelée chez leurs aînés (True Widow, Slint) et ne déçoivent pas avec un troisième album au son lourd et au propos sincère.
Los Angeles, cette grande banlieue dont on perd toute trace à l’horizon. Toujours en expansion, comme l’univers, et traversée par des comètes qui, à force de se croiser, forment des constellations. Depuis quelques années, cette cité vaporeuse, propice aux errances métaphysiques, semble être le point de chute des petites stars de la musique indépendante ayant bénéficié d’une attention toute particulière au début des années 2010.
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Mac DeMarco, Weyes Blood, Ty Segall, Drugdealer, tous ont fini par s’y établir, bientôt rejoints par la clique de DIIV, composée d’Andrew Bailey, Ben Newman, Colin Caulfield et Zachary Cole Smith. Un groupe qui aura pourtant longtemps incarné la quintessence du cool new-yorkais : “New York est une ville dure, où l’on a connu beaucoup de tension, se souvient Zach. Je pense avoir passé l’âge de vivre dans un endroit où tout est rugueux tout le temps. A Los Angeles, on s’est fait des amis, on a une communauté autour de nous, et pas uniquement dans le cercle de la musique. Des gens qui nous soutiennent.”
Les emmerdes laissées sur le tarmac de l’aéroport John-F.-Kennedy, DIIV s’est donc retrouvé apaisé et les mains libres pour attaquer l’écriture du successeur de Is the Is Are (2016), un deuxième album pour lequel Zach s’était foutu une sacrée pression : “Si ce disque échoue, je serai à jamais voué à être cette note en bas de page, ce mec qui s’est fait arrêter, ce loser à tabloïd”, nous confiait-il à l’époque.
Stoner ? Shoegaze ? Slowcore ? Non, juste DIIV
“J’imagine que c’est ce qu’il se passe pour beaucoup d’artistes au moment du troisième album : le premier t’es jeune, tu réfléchis pas, ça se passe bien, tu te mets une grosse pression pour le deuxième et tu te libères de tout au moment de travailler sur le troisième. Mais on ne peut pas dire non plus que Los Angeles a influencé le disque”, explique Colin. “On n’a pas fait notre ‘L.A. album’”, rigole Zach. “Il y a ce cliché là-bas, de faire un album d’inspiration surf, mais Deceiver est complètement opposé à ça, c’est notre album le plus heavy, le plus grave”, rajoute Colin.
Erudits, attentifs au son et aux travaux de leurs pairs, Zachary Cole Smith et Colin Caulfield savent exactement à quoi doit ressembler Deceiver au moment d’entrer en studio. Ils s’associent pour la première fois à un producteur, un certain Sonny Diperri, inconnu au bataillon, dont on sait juste qu’il a travaillé en tant qu’ingénieur du son pour des formations telles que My Bloody Valentine : “On avait des points de comparaison, des références en tête. Quand on a rencontré Sonny, on lui a tout de suite parlé de True Widow, par exemple. Un de mes groupes préférés”, poursuit Zach.
Estampillé “slowcore”, le trio texan True Widow digère tout aussi bien les adjectifs “stoner” et “shoegaze”, desquels se réclame également DIIV et dont les motifs imprègnent la discographie du groupe depuis la sortie d’Oshin en 2012. Comme sur Acheron, grand morceau de clôture de Deceiver, aux orchestrations lugubres, où la lourdeur des guitares, les effets de reverb et le rythme lent mais progressif viennent nous plonger dans une torpeur toute nineties.
“La meilleure chose que tu peux faire en tant qu’artiste, c’est sortir le meilleur disque possible”
Assez loin finalement des petites épopées kraut lorgnant du coin de l’œil les lignes de gratte cristallines de Michael Rother qu’étaient (Drunn) et (Drunn Pt. II), deux titres à part d’un premier album nébuleux, rangé dans la catégorie “dream pop” : “Il y a comme une formule, un cahier des charges à remplir, précise Colin : deux guitares, une basse, la batterie. Il y a quelque chose de très simple là-dedans. On a voulu conserver ça, mais avec un son nouveau. C’est pas comme si on avait rajouté quarante pistes de guitare, ce qui aurait changé notre approche de l’écriture. Sur Deceiver, seuls les points de référence ont changé.” Quand on suggère la piste Slint, Zach et Colin acquiescent : “C’est un groupe tellement unique, renchérit ce dernier. Personne ne fera une deuxième fois Spiderland.”
Le groupe étant clair sur la façon dont doit sonner Deceiver, il met d’abord en boîte la partie instrumentale. Quand Oshin est sorti, les voix, quand il y en avait, étaient noyées sous un déluge de reverb. Puis Is the Is Are est paru, et le talent d’écriture de Zachary Cole Smith nous a sauté aux oreilles dès lors qu’il assumait enfin de se mettre en avant.
“Ça tient au fait qu’à l’époque du premier album, on manquait de confiance en nous. A force d’écouter la musique des autres, je me suis davantage concentré sur les paroles”, reconnaît-il. “They gave us wings to fly / But then they took away the sky”, chante-t-il ainsi aujourd’hui sur Skin Game, titre fort évoquant le thème de l’addiction. Hardos, mais nécessaire.
Et le rock dans tout ça ? “La majorité des gens s’en foutent de la musique. Quand un mec te dit que le rock est toujours vivant en faisant monter la sauce autour d’un groupe, c’est juste qu’il est tombé dessus par hasard sur Twitter. La meilleure chose que tu peux faire en tant qu’artiste, c’est sortir le meilleur disque possible.” Sain d’esprit, DIIV.
Deceiver (Captured Tracks/Differ-Ant)
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