Pour sa première aventure télévisuelle, le cinéaste coréen Park Chan-wook orchestre une relecture aussi virtuose qu’envoûtante de John le Carré qui met en miroir le jeu d’acteur et les jeux d’espions. (Spoilers)
Cet article comporte des révélations sur la série The Little Drummer Girl.
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Bonn, République fédérale d’Allemagne, 1979. Une bombe explose dans une maison située au cœur du quartier diplomatique et tue un petit garçon. L’enquête menée par Martin Kurtz, agent trouble des services de renseignement israéliens, tend vers l’insaisissable Khalil, membre de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) suspecté d’avoir perpétré une série d’attentats contre des juifs résidant en Europe. Un plan extrêmement ambitieux est mis en place afin de le capturer, comprenant le recrutement forcé de Charlie, une jeune actrice londonienne en galère et farouchement anti-sioniste.
Forts du succès de The Night Manager l’an dernier, les producteurs exécutifs Simon et Steffen Cornwell ont mis sur pied une nouvelle adaptation d’un roman de John Le Carré, cette fois écrite par Claire Wilson et Michel Leslie. Issue d’un partenariat entre AMC et la BBC One, The Little Drummer Girl (La Petite Fille au tambour in French) marque la première incursion du cinéaste coréen Park Chan-wook dans l’univers des séries télévisées.
Une toile narrative vénéneuse et ludique.
On connaît deux Park Chan-wook : l’artisan volontiers provocateur de thrillers aussi stylisés que violents (Old Boy, Sympathy for Mister Vengeance), et le réalisateur plus joueur de pièges narratifs vénéneux (Thirst, Mademoiselle). The Little Drummer Girl s’inscrit dans cette seconde veine, à notre avis sa meilleure, pour déconstruire avec malice les codes du récit d’espionnage.
Au-delà de la reconstitution d’époque et des ramifications complexes du contexte géopolitique investis, la série déploie avec gourmandise toute la panoplie du jeu d’espions, de la mallette remplie d’explosifs aux interrogatoires sophistiqués et des filatures retorses aux planques secrètes. On pense évidemment au cinéma d’Alfred Hitchcock (La Mort aux trousses en tête) dès l’apparition du premier McGuffin, pour glisser vers celui de son exégète Brian de Palma (surtout celui de Mission : Impossible). Enveloppé dans une mise scène d’une extrême fluidité, le geste, bien que maniériste, évite d’embaumer le genre et le revitalise par un fétichisme ludique.
Malgré un beau casting, l’interprétation des actrices et acteurs – entre un Michael Shannon excessivement cabotin et un Alexander Skarsgård inutilement monolithique – constitue le point faible des premiers épisodes. Fragilité d’autant plus regrettable que leurs personnages, derrière le ballet des corps et la valse des masques, semblent travaillés sous la surface par une solitude et une mélancolie qui gagneraient à se déployer plus amplement.
Du jeu d’acteur aux jeux d’espions
À mesure que se déploient les mille ramifications de son intrigue retorse, toute en relecture de situations passées et entrelacement des lieux et des temporalités, The Little Drummer Girl esquisse un parallèle intriguant entre le jeu d’acteur et les jeux d’espions. En vacances en Grèce avec sa troupe de théâtre, Charlie est approchée par un bel inconnu et tombe sous son charme. L’homme se révèle être un appât pour la jeune femme, dans le collimateur des services secrets israéliens qui comptent utiliser ses talents d’actrices pour la forcer à jouer le rôle de l’amante du frère de Khalil afin de remonter jusqu’à lui.
L’enjeu du récit devient alors celui de l’incarnation : d’une autre femme, d’un autre couple, d’un autre camp. De l’historique des personnages aux costumes de convenance en passant pas la fausse Lune de miel, les espions sont aspirés dans un processus d’invention fictionnelle permanent, pour un public présent « partout, et tout le temps ». Hitchcock encore vers version Enchaînés voire Vertigo, De Palma toujours côté Obsession.
Si le potentiel de fascination envers les acteurs et espions envisagés comme de faux jumeaux a déjà été exploré, The Little Drummer Girl pousse le trais en instaurant une proximité dangereuse entre les modèles et leurs incarnations, le réel et la fiction. À quelle distance de soi doit-on jouer pour être crédibles sans se perdre ? Troublante interrogation qui semble contenue toute entière dans la bouche de Charlie lorsqu’elle murmure, inquiète, à son (vrai ou faux) ravisseur et amant : « How much of this is you ? »
The Little Drummer Girl, disponible sur My Canal, bientôt sur Canal +
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