A Bruxelles, un supermarché désaffecté est devenu une plateforme internationale dédiée aux arts urbains nommée « Strokar Inside ». Depuis septembre dernier, les 5000m2 du bâtiment sont devenus le terrain de jeu d’une soixantaine d’artistes.
Ici le street art règne, aucun mur, ascenseur ni parking n’échappe aux graffitis. Du 8 novembre au 30 décembre, les œuvres du célèbre graffeur britannique Banksy seront exposées pour la première fois dans la capitale belge. Entretien avec Alexandra Lambert, co-fondatrice du projet et directrice générale du MAD.
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Comment est né le projet Strokar Inside?
Alexandra Lambert – Strokar est à la base une ASBL [une association sans but lucratif, ndlr] que j’ai mise en place avec Fred Atax, photographe et mon partenaire dans la vie. Créée il y a trois ans, elle est dédiée au street-art et aux graffitis. L’idée est de faire des oeuvres originales et des créations interdisciplinaires qui sont commandées par notre label. Nous avons commencé par faire retravailler des photos de Fred Atax par des artistes, des graffeurs. Ces créations ont fait l’objet d’une exposition à Bruxelles puis à Paris. Depuis le départ, Fred me disait que l’on devait créer un sorte de « supermarché du street art ». En janvier, nous sommes passés devant l’ancien Delhaize Molière, supermarché assez mythique et très connu des Bruxellois. Toute la façade était taguée. Nous nous sommes arrêtés net et nous nous sommes dit que c’est là que nous voulions créer une plateforme internationale des arts urbains. Le bâtiment se situe dans un quartier huppé de la capitale, nous avons bien aimé le fait de ne pas reléguer le street art aux quartiers en revitalisation.
Ce lieu nous a permis de créer un espace qui rompt avec tous les codes, qui mélange les principes d’un musée, d’une galerie d’art, d’un parcours de fresque et d’un lieu d’installation. C’était l’occasion de travailler avec beaucoup d’artistes, une soixantaine, pour présenter toutes les techniques du street art et du graffiti, leur permettre de travailler dans ces 5000m2 librement, tout en faisant tout de même un travail de direction artistique. Nous avons commencé le projet en mai dernier et avons ouvert le 6 septembre.
Le fait d’avoir choisi ancien supermarché, lieu commercial, n’est-il pas en contradiction avec la pratique du street art qui, elle, ne l’est pas ?
Non, vraiment pas, car nous avons pu utiliser tous les espaces : la superficie commerciale du supermarché qui fait environ 1000m2 avec l’ancienne poissonnerie et l’ancienne boucherie, mais il y a également deux parkings gigantesques avec des murs immenses. Pour les artistes, c’était un terrain d’expression incroyable. Pouvoir travailler à l’abri, prendre le temps de réaliser des fresques qu’ils ne pourraient sans doute pas faire à l’extérieur car elles seraient parfois polémiques sur certains sujets, ce fut une grande opportunité. Les artistes étaient très enthousiastes à l’idée de venir travailler à l’intérieur.
Nous étions censés accueillir une centaine d’artistes, mais nous nous sommes vus couper l’herbe sous le pied quand le propriétaire a décidé de ne pas prolonger le bail. L’idée de base était de mettre en place un musée évolutif, que l’on puisse découvrir au fur et à mesure du temps de nouvelles choses comme nous aurions pu le faire dans la rue.
Des lieux de ce type existent-ils ailleurs en Europe?
Nous nous n’en savons rien car nous n’avons pas visité toute l’Europe. Par contre, Profecy, artiste d’envergure internationale qui se déplace très souvent à l’étranger et qui a travaillé dans Strokar Inside, nous a assuré ne pas avoir connu d’endroit de ce genre en Europe, que c’est un lieu unique, que l’on se croirait presque à New-York. Nous sommes en réseau avec d’autres acteurs en France, en Allemagne et aux Pays-Bas qui développent des choses plus alternatives comme nous le faisons et nous aimerions créer à terme un réseau européen avec ces gens là. Le fait que le projet soit à Bruxelles, capitale européenne, est aussi symbolique. Une fois que le projet aura eu sa notoriété, nous voulons expliquer aux autorités européennes l’intérêt de la création de ce type de réseau et les convaincre d’investir dedans. Il s’agit d’un art qui n’est pas suffisamment valorisé.
Le célèbre graffeur britannique Banksy sera exposé durant deux mois. C’est la première fois que ses oeuvres seront exposés à Bruxelles. Que pouvons-nous attendre de cette exposition ?
L’exposition s’appelle « Banksy Unauthorized ». Le « unauthorized » est pour jouer avec les codes de Banksy mais aussi sur le fait que l’on parle d’un art généralement non autorisé. Il ne s’agit pas d’une simple expo des œuvres du graffeur. Fred Atax a notamment demandé aux autres artistes de retravailler les citations de Banksy. Par exemple, sur le comptoir du bar, il est écrit « je consomme, tu consommes, nous sommes cons », en écho avec le lieu ou encore avec la phrase « copyrights if for loosers », nous en avons fait des pochoirs qui permettent donc de réaliser des répliques parfaites. Nous avons essayé de réaliser un travail artistique et ne pas simplement accueillir une exposition.
Pour quelles raisons avez-vous décidé d’exposer cet artiste mondialement connu, à côté d’artistes plus anonymes ?
Le premier mois nous avons accueilli plus de 20.000 visiteurs, ce qui est énorme. Nous avons alors été contactés par les détenteurs des droits des œuvres de Banksy qui appartiennent à son ancien agent Steven Lazaridès. Ils nous ont contacté car ils cherchaient un lieu à Bruxelles pour exposer ces œuvres. Au début on n’y croyait pas vraiment ! Jusqu’au jour où on a vu les œuvres arriver dans le supermarché. Pour une petite association comme la notre, c’était une chance inouïe de présenter cet artiste là pour la première fois à Bruxelles. Le fait que l’on expose Banksy, cela va attirer du monde. Ce que nous voulons c’est mettre en lumière les autres artistes qui ont également participer au projet Strokar Inside.
Une exposition des oeuvres de Banksy issu de collections privés a récemment eu lieu en Russie. Sur son compte Instagram, il s’est insurgé contre cette expo en dénonçant le prix d’entrée en expliquant qu’il ne fait pas payer les gens pour voir ses oeuvres. L’entrée pour « Banksy Unauthorized » est à 15 euros. Comment justifiez-vous ce prix ? En avez-vous discuté avec lui ?
Banksy n’autorise pas toujours les expositions si elles sont commerciales, donc payantes. Lui a beaucoup d’argent, il joue avec les codes de la spéculation, il s’en moque. Il joue avec tout ça. Il n’aime pas que les collectionneurs privés valorisent ses œuvres. Nous ne sommes pas les organisateurs de cette exposition, le petit pourcentage que notre association va toucher servira à aider notre projet et à soutenir les artistes. Tout ce que l’on engendre sera remis dans des projets qui valorisent les artistes. Il n’existe pas d’intention commerciale derrière notre association.
Pour être tout à fait honnête, nous avons écrit à Banksy sur Instagram. Nous lui avons expliqué la situation dans laquelle nous étions. Nous lui avons demandé des alternatives, mais il ne nous a rien proposé. Nous avons accepté l’exposition malgré tout car nous n’allions pas avoir deux fois cette chance.
Le bail prend fin le 31 décembre. Quels sont vos projets pour la suite ? Strokar Inside va-t-il s’installer ailleurs ?
Nous allons devoir fermer le 31 décembre prochain car le propriétaire ne veut pas que l’on reste plus longuement dans l’endroit. Plusieurs personnes nous ont proposé des alternatives mais elles restent éphémères. Ce n’est pas un projet qui peut être reproduit à l’infini. Nous aimons être là où on ne nous attends pas et faire des choses engagées. Cela ne sera peut-être pas nécessairement dans un lieu. Dès janvier, nous allons nous poser et réfléchir à ce que nous allons faire. Mais il y aura d’office une surprise Strokar, ça c’est sûr !
Propos recueillis par Louise Hermant
Banksy Unauthorized, au Strokar Inside (Bruxelles), du 8 novembre au 30 décembre.
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