Spécialiste du hip hop des débuts jusqu’au milieu des années 1990, le dessinateur américain Ed Piskor connait également sur le bout des doigts les comics de la même époque. D’où sa reconstruction virtuose de l’histoire des X-Men dans une BD d’aujourd’hui au goût vintage.
Qui a déjà ouvert un volume de Hip Hop Family Tree, récit des premières années du hip hop américain, sait que son auteur, Ed Piskor, est un malade. Une sorte de geek obsédé par le moindre détail, le lettrage ou la palette des couleurs, un puits de connaissance qui a tout mémorisé, des premières block parties à l’utilisation de tel obscur sample. « J’ai un savoir quasi-encylopédique du hip hop produit entre 1978 et 1993« , avouait-il en interview sans prétention. Après s’être réveillé le 1er janvier 2012 avec l’envie de reconstruire l’histoire du hip hop, il s’est consacré à sa mission sans s’économiser pendant plusieurs années, sans souffler.
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Tout au long de la parution de cette série aussi groovy qu’instructive – 4 tomes aux Etats-Unis chez Fantagraphics, 3 en France chez Papa Guédé – transparaissait aussi l’amour de l’objet, du comic book de la grande époque. Les albums reliés de Hip Hop Family Tree empruntent ainsi le grand format des Marvel Treasury Edition mettant en scène Spider-Man ou d’autres super-héros, des albums XXL guettés par les collectionneurs dans les années 1970. « En fait, j’ai agi dans le domaine des comic books comme dans celui du hip hop. Dès que je découvrais des artistes et qu’ils devenaient mes préférés, je lisais leurs interviews, j’allais voir les artistes qui les avaient inspirés, j’explorais leur travail. Je vis à Pittsburgh, la ville natale d’Andy Warhol, donc je suis sensible aux couleurs, sans doute grâce à l’imagerie pop art« .
« Je peux tout faire tout seul«
Quand il a annoncé plancher sur un projet pour Marvel, certains clins d’œil subliminaux auraient dû nous mettre la puce à l’oreille. Car, dans nombre de dessins ou couvertures d’Hip Hop Family Tree, Ed s’est inspiré des comic books des X-Men, reprenant la composition d’un dessin de Dave Cockrum ou de John Byrne, remplaçant les mutants par les rappeurs. Comme il l’explique dans ce premier X-Men Grand Design, dessiner les X-Men est littéralement son rêve d’enfant. En bonus, est d’ailleurs reproduit une partie de ses premiers efforts – Ed prétend avoir noirci, enfant, un millier de pages !
Désormais auteur renommé, il a obtenu de Marvel une marge de manœuvre inédite. « C’est dingue, ils me donnent la chance de faire le comics dont j’ai envie, sans aucune interférence. Normalement quatre ou cinq personnes travaillent en même temps sur un comics Marvel, alors que moi je peux tout faire tout seul« . Mais l’histoire qu’il a eu envie de raconter se révèle collective puisqu’elle a été écrite par des dizaines de scénaristes, de dessinateurs et de coloristes qu’il a tous listés (dont Françoise Mouly avant qu’elle ne soit directrice artistique du New Yorker !).
Dans X-Men Grand Design, qui connaîtra en tout trois recueils, Piskor s’attelle à une tâche titanesque : résumer ce qui est arrivé aux X-Men, comme s’il s’agissait de personnages vivants. Il établit ainsi leur biographie de la manière la plus précise, en se basant d’abord sur ce que les créateurs de la série Stan Lee et Jack Kirby ont inventé à partir de 1963. Il respecte les caractéristiques originales des personnages en tenant compte de tous les enrichissements ultérieurs apportés – tout ce qui tient de la retcon (pour « retroactive continuity »), ce néologisme qui décrit comment un auteur va modifier de manière rétroactive la biographie d’un personnage. Tel le collectionneur fou qu’il semble être, Piskor jongle ainsi avec les séries, les mini-séries et les épisodes spéciaux.
Le résultat n’est pas uniquement destiné aux geeks (même si ceux-ci seront à la fête). Bien qu’il résume ici les événements dépeints dans la première série X-Men de sa création jusqu’à l’arrêt de sa publication en 1970, le dessinateur parvient en effet à obtenir un récit fluide. Il s’attache à développer la psychologie des personnages principaux (le professeur Xavier, Magneto, Scott Summers alias Cyclops, Jean Grey alias Marvel Girl et bientôt Phoenix), à dégager une trame principale courant sur plusieurs années. Ce premier album rend hommage aux pionniers – il a même recolorisé le tout 1er épisode des X-Men de Lee et Kirby – mais la suite sera encore plus alléchante.
Dans X-Men Grand Design Second Genesis, déjà paru aux Etats-Unis, il s’attaque avec la même maestria à la prestation légendaire du scénariste Chris Claremont, resté sur la série X-Men et ses spin-offs pendant près de 17 ans. On y (re)lira notamment la création de la deuxième mouture des X-Men, plus cosmopolite et mixte avec Wolverine, Storm, Nightcrawler, Colossus et les autres, ainsi que la montée en puissance du Phoenix…
Ed Piskor X-Men Grand Design, Panini Comics, 120 pages, 26 euros
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