Portrait très noir de l’Irlande à travers l’histoire d’un homme qui, de retour dans sa ville natale, se bat contre son passé.
Il existe des romans dont la fin vous glace pendant des jours et des jours. C’est le cas de Smile, passionnant de bout en bout, mais dont on ne prend réellement la mesure de ce qu’il cachait qu’à la dernière page. Il fallait cette construction subtile pour aborder intelligemment un sujet qui fait depuis peu la une des journaux : la pédophilie au sein de l’Eglise catholique.
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Roddy Doyle – auteur des Commitments qui narre les déboires d’un groupe de rock à Dublin, adapté en film par Alan Parker – a choisi, ici, non pas de raconter mais de nous placer dans la tête de celui qui n’a pas su raconter.
L’histoire d’une intimité dévastée
Suite à la séparation d’avec sa femme, Victor Forde, écrivain, revient vivre dans le quartier populaire où il a grandi. Déprimé, il passe ses soirées au pub. Un copain de jeunesse un peu lourd l’aborde, l’abreuve d’anecdotes de collège jusqu’à lui demander : “Comment s’appelait le frère qui avait un penchant pour toi ?” Victor Forde n’a pas envie de se souvenir du collège. Mais alors qu’il se traîne dans des lieux qu’il ne reconnaît pas tout à fait, il pense à sa vie d’homme.
Comment il a réussi à s’extirper d’un milieu social modeste. Comment sa femme a créé une entreprise et fait fortune. Comment ils ont incarné tous deux l’Irlande moderne. A nous de deviner pourquoi il passe désormais ses soirées au pub, mais difficile de prévoir ce que Roddy Doyle lui réserve à la dernière page.
Il fallait une immense maîtrise pour parvenir à instaurer le malaise sans jamais être dans l’explicatif ni s’autoriser la moindre facilité narrative. Doyle nous plonge dans la honte d’un pays, et l’histoire de Forde n’est pas seulement celle d’une intimité dévastée, c’est la mise à jour d’une atmosphère.
Sans jamais être didactique, Doyle nous fait vivre dans une société dont toutes les composantes – la famille, l’école, la politique, les médias – obéissent à la même autorité incontestée de la religion. Et il montre aussi que l’ultralibéralisme qui a envahi l’Irlande, loin de libérer les individus, fragilise les plus meurtris.
Smile (Joëlle Losfeld), traduit de l’anglais (Irlande) par Christophe Mercier, 256 p., 19,50 €
© Giuseppe Milo
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