Attendu de pied ferme, le quatrième album du rappeur belge est enfin disponible et sonne comme une volonté de se livrer. Quitte à alimenter les théories les plus folles sur sa discographie.
Selon le dictionnaire Larousse, la définition du terme « chiffrement » est la suivante : « Opération qui consiste à transformer un message à transmettre en un autre message inintelligible pour un tiers en vue d’assurer le secret de sa transmission. » Voici, peut-être, l’un des nouveaux fonds de commerce du rap francophone. Damso l’a bien compris. Sur son quatrième album, QALF, le rappeur belge joue avec les nerfs des fans les plus orthodoxes, perfusés au décryptage de textes, à l’affût du moindre indice pouvant éclairer une théorie sur la signification de sa discographie. On savait son public avide de contradictions, le voilà servi.
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La stratégie du rien
Attendu de pied ferme depuis son précédent long format Lithopédion (2018), Damso a décidé de prendre à contre-pied les nouveaux modes de marketing rap en adoptant la stratégie du rien, qui consiste à dire que le silence d’un artiste fait peut-être plus parler que des pubs dans le métro. C’est donc par surprise, ou presque, que ce nouvel album paraît, avec une pochette plus que minimaliste et une communication sur les réseaux propice à l’interprétation. Moins on en dit, plus les gens parlent.
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Sur QALF (pour « Qui Aime Like Follow »), son premier album hors du label 92i, le rappeur continue d’explorer les sentiments amoureux contradictoires. Testostérone bancale, phases hardcore, voix grave et détachée… Comme nombre de ses compères actuellement, il débarque dans son album les deux pieds décollés, avec un ego-trip débridé, MEVTR, censé annoncer la couleur : noir. On reconnaît vite la patte sonore de Saint DX, artiste pop dont les pianos et les coproductions seront récurrents dans la tracklist. Mais si cette noirceur se confirme avec l’excellent LIFE LIFE, l’une des cautions sales de QALF (tout comme BXL ZOO en featuring avec Hamza, entre autres), c’est vers la lumière que se dirige inéluctablement l’album.
https://www.youtube.com/watch?v=z0miXJx_FUQ
Un album de Damso, vraiment ?
En fait, contrairement à ses précédentes sorties, Damso ne recherche pas l’homogénéité. Il erre dans des états distincts. Ses amours sont désabusés sur SENTIMENTAL (« Qu’est-ce que j’en sais moi de l’amour / Vingt-sept ans qu’je tourne autour du soleil / Pourtant je n’ai toujours pas vu la lumière »), rayonnantes sur le très californien 911 (« Fais le 911 / J’crois qu’un gangster est tombé love »), ou distants sur CŒUR EN MIETTES en featuring avec Lous and The Yakuza (« Rien qu’à entendre mes textes / Elle se dit que j’aime le sexe / C’est juste que l’amour et moi se terminent par un bref »). C’est sa marque de fabrique.
https://www.youtube.com/watch?v=9de2C058LCA
Tout paraît simple et limpide. Damso ne s’aventure pas dans des storytellings alambiqués, il va à l’essentiel. Il y a quelque chose de fondamentalement instinctif dans son écriture, plus que d’habitude. C’est d’ailleurs, certainement, l’une des faiblesses de QALF. Peut-être que le personnage, Dems, est en retrait pour laisser place à William Kalubi, son vrai nom. La mise en scène de la famille, des racines congolaises (il chante en lingala sur POUR L’ARGENT et invite le chanteur Fally Ipupa sur FAIS CA BIEN), de la rue (D’JA ROULE)… Tout semble vrai.
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« Batterie rechargée »
Mais si l’album semble clair et sans détour, le rappeur sait contenter la soif de réflexions qui habite son public le plus fidèle (et certainement le plus jeune), jusqu’à tomber parfois dans le fan service. Plusieurs interprétations en apparence farfelues sont faites de QALF, la plus répandue émettant l’idée que cet album ne serait en fait que la première partie d’un double projet. Une sombre histoire de « transfert d’âme », de dédoublement de personnalité, de liens entre des morceaux sortis à trois ans d’intervalle, et de battements cardiaques entendus sur le titre INTRO qui, comme son nom ne l’indique absolument pas, clôture ce quatrième album. La toute dernière phrase est en fait un cri : « Nwaaaaar ! Batterie rechargée », laissant penser que le Damso le plus dur s’est réveillé, et qu’il interprétera cet hypothétique second volet. L’avenir nous le dira. Ce qui est certain, c’est qu’une volée de lycéens vont pouvoir opter sereinement pour l’étude de texte lors de leur prochain DS de français.
https://www.youtube.com/watch?v=47wcUZM3tec
Si QALF n’atteint volontairement pas l’intensité d’Ipséité ou la dureté de Batterie Faible, il se démarque par sa versatilité, portée par le travail des producteurs principaux, à savoir Saint DX donc, mais aussi Jules Fradet, Prinzly, ou le nouveau venu The 9AM. Damso a l’habitude de changer savamment d’orientation artistique, de concept, quitte à décevoir. Ce qui brille, ce qui fait qu’il reste l’un des rappeurs francophones les plus attendus et les plus intéressants, c’est sa capacité à entretenir la contradiction, à osciller entre nwar et blanc, et à pousser à l’analyse. Souvent à l’excès, certes, mais c’est ce qui alimente le mystère.
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