Aux Etats-Unis, le Congrès sera divisé entre une Chambre des représentants à majorité démocrate et un Sénat à majorité républicaine à partir de janvier 2019. Suite à ces résultats des élections de mi-mandat, les « Midterms », quelles vont être les marges de manoeuvre de Donald Trump ?
C’est une première depuis 2010 : à l’issue des élections de mi-mandat aux Etats-Unis, les « Midterms », les démocrates ont obtenu une majorité à la Chambre des représentants, soit la chambre basse du parlement américain. Les républicains, eux, ont renforcé leur majorité au Sénat, aka la chambre haute. Le Congrès (Chambre des représentants + Sénat) sera donc divisé dès janvier, mois où les personnes nouvellement élues prendront leurs fonctions. Quelles conséquences pour le républicain Donald Trump ? Va-t-il pouvoir gouverner comme bon lui semble avec cette Chambre des représentants démocrate ? Cette situation peut-elle être problématique concernant ses ennuis politico-judiciaires ? Afin de prendre de la perspective sur ces résultats, nous avons posé plusieurs questions à Nicole Bacharan, politologue spécialiste des Etats-Unis.
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Donald trump a tweeté que ces Midterms étaient pour lui un “immense succès”. Qu’en pensez-vous ?
Nicole Bacharan – C’est la méthode Trump : cela fait 40 ans qu’il fait cela, il dit toujours qu’il a gagné, même s’il a perdu. D’ailleurs, il n’a pas totalement perdu, il a à moitié gagné, mais, de toute manière, il crie toujours victoire. Donald Trump fait cela depuis qu’il s’est lancé dans l’immobilier et qu’un avocat lui avait appris ceci : crier toujours victoire, et cela devient vrai à force de le dire. Même si les gens n’y croient pas tout de suite, des personnes vont demander « Pourquoi criez-vous victoire ? » et, du coup, on parle de la victoire… C’est sa méthode.
Avec ce congrès divisé, Donald Trump va-t-il pouvoir gouverner comme bon lui semble d’ici la fin de son mandat ? Quelles vont être ses marges de manoeuvre ?
Cela va être compliqué. Il y a un domaine qui lui reste, c’est la politique étrangère, qui ne dépend quasiment que de lui. Idem, pour la nomination des juges, ce qui est un aspect très important : ils sont nommés par le Président, puis confirmés par le Sénat. Là, il va encore marquer des points. En revanche, la Chambre des représentants vote le budget, donc on peut imaginer qu’il va y avoir des bras de fer budgétaires, ces fameux « shut down ». Mais il n’y aura pas de grande réforme législative : les grandes réformes doivent se voter dans les mêmes termes dans les deux chambres, et que ce soit sur l’immigration, le fameux mur, la réforme de la santé…. C’est impossible, il n’y en aura pas.
Il pourrait y avoir des accords entre la Maison blanche et la Chambre des représentants sur les investissements dans les infrastructures, ou sur certains points particuliers de la couverture de santé, comme le prix des médicaments par exemple. Mais, pour cela, il faudrait que les deux camps veuillent coopérer. Et, Donald Trump, même avec un Congrès de son bord [les républicains sont actuellement majoritaires dans les deux chambres, ce qui changera donc en janvier 2019, ndlr], n’a pour l’instant fait voter qu’une seule réforme, la réforme fiscale. En outre, de l’autre côté, les jeunes élus démocrates qui arrivent ont envie d’en découdre. Je crois donc qu’on aura plus de paralysie que de compromis.
Quid des mesures déjà lancées par le président américain, telles que sa politique migratoire des plus restrictives ou encore sa réforme de la fiscalité ?
Sur la réforme des impôts, pour l’instant, elle est populaire. Mais elle ne le restera que tant que la machine tourne bien. S’il y a une récession – et il y en aura une à un moment – on s’apercevra que l’Etat n’a plus un sou, le déficit est absolument abyssal. Je ne crois donc pas que les démocrates vont s’attaquer à cela rapidement. Sur l’immigration, il n’y aura pas de réforme, mais le président joue sur les règlements, sur les décrets : là, il a donc une marche de manoeuvre. Par exemple, la question de la manière de traiter les arrivées à la frontière ne passe pas par le Congrès. En revanche, remettre en cause le droit du sol… Il peut essayer de passer par décret, mais je n’imagine même pas cela, même la Cour suprême actuelle, je ne crois pas qu’elle le suive là-dessus. Il va plutôt renoncer pour ne pas se prendre une claque… enfin, nous verrons.
Outre la politique intérieure, est-ce que cela peut avoir un impact sur sa politique internationale ou sur des décisions qu’il a prises, comme le retrait des accords sur le climat de Paris ?
Non, pas du tout. Si jamais Donald Trump signe un traité – il n’y en a aucun en vue – ce n’est ratifié qu’au Sénat, la Chambre des représentants n’a rien à dire. Se retirer d’un accord, cela ne dépend que de lui. On peut donc imaginer qu’étant pas mal bloqué en politique intérieure, Donald Trump, comme l’ont fait souvent d’autres présidents dans ce cas de figure, sera d’autant plus actif en politique étrangère, c’est le domaine où il n’y a pas beaucoup de contrôle.
La chambre des représentants a un pouvoir d’impeachment et bénéficie de larges pouvoirs d’investigation. Est-ce une mauvaise nouvelle pour Trump, embourbé dans une affaire politico-judiciaire autour d’une éventuelle ingérence russe lors de la dernière campagne présidentielle, mais aussi très critiqué pour sa nomination du juge Brett Kavanaugh, accusé d’agressions sexuelles ?
Oui, la chambre a de très larges pouvoirs d’enquête. Elle a le pouvoir de convoquer, d’exiger des documents. On va donc voir à quel degré et à quel moment les démocrates veulent attaquer, mais les enquêtes sont prêtes. Il y a la question de la Russie, mais, à mon avis, le point où Donald Trump est le plus vulnérable est sur la question d’obstruction à la justice : la manière dont il a renvoyé le patron du FBI, les ordres qu’il a donné au Ministère de la Justice… Donc obstruction à la justice, corruption de témoin, beaucoup d’affaires financières… Les démocrates veulent réclamer sa fiche d’impôts – il va se battre pour ne pas la donner, mais ce n’est pas sûr qu’il gagne. Tout cela fait que la capacité de coopération entre la Chambre des représentants et le président américain sur des projets législatifs est encore plus réduite.
Sur la question de l’impeachment, c’est compliqué pour les démocrates. Avec leurs enquêtes, ils auront probablement assez de matière. Mais, s’ils votent, ils ne peuvent voter que la première étape – qu’on appelle « l’empêchement » – qui se vote à la majorité simple. Ils auraient donc cette majorité. Mais, ensuite, la procédure est transmise au Sénat, qui se constitue au tribunal, et là, la majorité du Sénat protégerait Donald Trump. Il n’y a donc pas de majorité pour destituer Donald Trump.
Ce n’est donc même pas certain que les démocrates de la Chambre des représentants s’aventurent sur ce terrain-là, pour ne pas faire de Donald Trump une espèce de victime qu’il faudrait défendre à tout prix en 2020 pour ses électeurs. Les enquêtes vont donc avoir lieu – mais à quel rythme, à quel point, je ne sais pas du tout. Pour qu’ils aillent jusqu’à entamer l’impeachment, il faudrait à mon avis un élément déclencheur fort, que l’on n’a pas aujourd’hui en tout cas.
Quel avenir pour le parti républicain ?
La chose très claire aujourd’hui, c’est que Donald Trump a gagné le parti républicain. C’est son parti. Ils lui sont fidèles, c’est grâce à lui qu’ils ont gagné et, en plus, les électeurs suivent, ils ont voté massivement pour les candidats soutenus par ou proches de Trump. Donc l’avenir du parti républicain pour un certain nombre d’années, c’est le trumpisme.
Concernant les démocrates, cette prise de la Chambre des représentants est-elle une victoire pour eux ?
Oui bien sûr. Et ce sont les femmes qui ont gagné : c’est grâce à elles qu’ils ont gagné. Cela les remet donc vraiment dans le jeu politique, ils ont un jeu de contre-pouvoir à jouer – qui va être délicat à mettre en oeuvre – qui est tout à fait réel. 2020, c’est près et c’est loin en même temps. Si Donald Trump est candidat – et il l’est depuis 2017, donc il n’y a pas de raison que cela s’arrête -, il est dit que, côté démocrate, il n’y a personne. Mais, en fait, il y a pléthore, simplement, cela prend du temps, il faut que plusieurs personnalités émergent. Cela se fait en général au cours des primaires, et, par ailleurs, au sein du parti, ils ne sont pas d’accord sur la ligne à suivre : centriste ou très à gauche. Mais il ne manque pas de personnes qui souhaitent y aller. Par ailleurs, cela n’est pas totalement négatif qu’il n’y ait personne qui se dégage franchement aujourd’hui, car cela voudrait dire qu’il y aurait une ou deux personnes qui seraient la cible d’un travail de démolition quotidien de Donald Trump. Donc nous allons voir ce qui va se passer. Donald Trump peut tout à fait être réélu, mais les démocrates sont bien vivants.
Propos recueillis par Amélie Quentel
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