Mardi 6 novembre se sont déroulées les midterms aux États-Unis : jamais autant de femmes n’avaient mené de campagnes ni n’en avaient remportées. Un nouveau chapitre de la démocratie américaine semble s’ouvrir.
Les élections des « midterms » qui ont pris fin mardi 6 novembre aux États-Unis n’ont pas vu le ras-de-marée démocrate annoncé. Elles n’ont pas vu non plus l' »immense succès », dont Donald Trump s’est prévalu le soir même sur Twitter. Les Républicains gardent le Sénat, la Floride et le Texas. Les Démocrates ont repris, après la défaite de 2012, le contrôle de la Chambre des représentants. Néanmoins, ces élections sont le symbole nouveau et fort de l’intégration des femmes, de toutes générations et de toutes couleurs de peau, au cœur de la vie politique américaine.
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Au mois de septembre dernier, la chercheuse et professeure des Universités Françoise Coste nous expliquait qu’il était possible de voir émerger « un réveil assez saisissant des femmes noires qui, comme ce fut le cas lors des primaires de l’été 2018, se mobilisaient pour voter ». En tant que femmes et en tant que noires, elles s’opposent doublement à la présidence de Donald Trump ponctuée de saillies xénophobes. La chercheuse y voyait les signes avant coureur « d’une vague de femmes noires qui votent et qui sont élues, ancrant la communauté noire au sein du parti démocrate », et du jeu politique américain. Ce phénomène, comme l’a prouvé ce scrutin, s’est vérifié bien au-delà de la communauté afro-américaine. Tour d’horizon de ces femmes grandes gagnantes des “midterms”.
Alexandria Ocasio-Cortez, 29 ans, plus jeune élue
Elle était la figure de la gauche démocrate et d’une nouvelle génération d’élus du parti. Alexandria Ocasio-Cortez revêt désormais, plus que quiconque, le visage de cette élection. À 29 ans, elle est la plus jeune élue du Congrès américain. Fille d’une mère de Porto-Rico et d’un père du Bronx, elle représente les minorités latino-américaines du pays. Jusqu’en février 2018, elle était serveuse dans un bar de tacos pour aider sa famille. Depuis juin dernier, elle incarne le renouveau de la scène politique américaine. Elle remporte alors les primaires démocrates du 14e district de New York où elle a été élue mardi. Jow Crowley était le grand favori de ces primaires. Il devait, selon toutes probabilités, prendre la tête des Démocrates au sein de la Chambre des représentants. Ancienne militante pour la campagne de Bernie Sanders, Ocasio-Cortez se réclame ouvertement « socialiste ». Elle est membre de l’organisation des DSA (Democratic Socialists of America) et s’inscrit dans la frange la plus à gauche d’un parti démocrate.
Ilhan Omar, 36 ans, ancienne réfugiée somalienne
Ilhan Omar, quant à elle, représente les jeunes femmes, issues des minorités mais aussi de l’immigration la plus récente, qui se sont aussi pleinement investies dans cette campagne. À 36 ans, la nouvelle élue démocrate du 5e district du Minnesota est, avec Rashida Tlaib, l’une des deux premières élues musulmanes du Congrès des États-Unis. Réfugiée somalienne arrivée sur le territoire américain à l’âge de 12 ans, elle remplace le premier élu au Congrès a avoir prêté serment sur le Coran en 2007. Se présentant avant tout comme « une milenial aux prises avec ses dettes d’étudiante », Ilhan Omar prône l’établissement d’une couverture médicale universelle, la mise en place d’un salaire minimum à 15 dollars de l’heure (l’équivalent de 13 euros), la gratuité des universités publiques, l’abolition de l’agence en charge de l’immigration, le terme de la politique de séparation des familles de migrants.
Letitia James, 60 ans, première femme noire procureure à New York
D’après le Centre d’étude des femmes en politique de l’université de Rutgers (New Jersey), 59 femmes noires se sont présentées à un poste de membre du Congrès américain ou au sein de l’administration d’un état en 2018. Elles étaient 45 en 2014, et toutes sont démocrates, farouchement opposées à l’actuel locataire de la Maison Blanche. Celle qui représente le mieux ces femmes est la nouvelle Ministre de la justice de l’état de New York, élue mardi soir : Letitia James. L’avocate de 60 ans, originaire de Brooklyn, est le symbole de l’opposition judiciaire à la politique de Donald Trump. Elle succède à son poste à Barbara D. Underwood, élue démocrate qui travaillait déjà sur un certain nombres d’affaires touchant directement le milliardaire new-yorkais. Le soir de son élection, Letitia James a directement pris à parti le président : « Il doit savoir qu’ici, à New York – moi la première – nous n’avons pas peur de lui« .
Ilhan Omar et Rashida Tlaib, deux femmes musulmanes
Les femmes de la communauté afro-américaine ne sont pas les seules à s’être pleinement saisi de leur rôle au sein de la vie politique américaine par ces élections. La nouvelle députée du 3e district du Kansas, Sharice Davids, une amérindienne homosexuelle de 38 ans, a été élue avec 53,3% des suffrages. Rashida Tlaib, américaine musulmane de 42 ans, d’origine palestinienne, a été élue, pour sa part, avec 88,7% des suffrages dans le 13e district du Michigan.
La première, procureure et pratiquante d’arts martiaux, a fait campagne, relativement aux autres candidates, sur un discours modéré. Elle se contente de défendre l’« Obama Care », considérant que les Démocrates et modérés du Kansas ne sont pas prêts pour adhérer à un « socialisme », provenant de Nouvelle-Angleterre.
Rashida Tlaib est née à Détroit. Elle était, en 2008, la première élue musulmane de l’état du Michigan. Elle prône la mise en place d’un salaire minimum à 15 dollars de l’heure (13,10 euros), veut empêcher les coupes budgétaires dans les programmes d’aide à l’accès aux soins et entend lutter contre le retrait des taxes sur les grandes entreprises.
Les femmes qui se sont présentées et ont été élues à différents postes d’état et nationaux sur les listes du parti démocrates sont jeunes, reflètent toute la diversité de la population américaine et défendent une orientation nouvelle et radicale de la gauche américaine.
Deb Haaland, 57 ans, première Amérindienne élue au Congrès
Deux femmes parmi celles élues ce mardi, représentent cette tendance de fonds, structurée et pensée, qui anime depuis 2016 le parti démocrate : Deb Haaland et Elizabeth Warren. La première incarne mieux que quiconque la lutte des Amérindiens pour être reconnus au sein de la vie politique américaine. Issue de la nation de la tribu des Pueblo Laguna, elle est l’ancienne responsable du parti démocrate au Nouveau Mexique. Amérindienne par sa mère, son opposante républicaine a remis en cause son identité indienne du fait des origines européennes de son père, en vain. Les Indiens du Nouveau Mexique ont continué de la soutenir. Âgée de 57 ans, elle partage avec eux des origines culturelles mais aussi sociales : ils sont des ouvriers, des « gens qui galèrent, des mères célibataires », explique-t-elle dans ses meetings, des gens dont le quotidien est fait de « précarité », et d’« adversité ».
Elizabeth Warren, 69 ans, favorite à la primaire démocrate
Elizabeth Warren, également, a une étoffe nationale, une étoffe présidentielle même. Réélue avec 60,8% des suffrages, la sénatrice du Massachusetts s’est ouvert la voie pour la campagne présidentielle de 2020. Élue pour la première fois il y a 6 ans à ce même poste de sénatrice, elle a mené campagne au Massachussetts et à travers le pays, soutenant d’autres candidatures démocrates. Elle représente la branche libérale – entendre la plus à gauche – du parti, comme John Fitzgerald Kennedy en son temps. Le sénateur du Massachusetts d’alors est encore présent dans les esprits des électeurs populaires démocrates de l’état.
Cet été, Elizabeth Warren, longtemps proche de Bernie Sanders, a toutefois dû prendre ses distances avec la tranche ouvertement « socialiste » du parti démocrate. Dans une interview à la chaîne CNBC, elle a confirmé être bel et bien « capitaliste ». Elle reste cependant bien plus à gauche que ne le fut Hilary Clinton, défendant la nécessité de régulation du marché par les institutions et prônant une politique d’intervention économique de la part du gouvernement ; tout en ayant l’avantage de n’avoir aucune affaire contre elle.
Françoise Coste, chercheuse et universitaire spécialiste de la politique américaine, estime qu’elle a fait « le pari de recentrer le parti sur son aile gauche ». En publiant cet été « un plan assez ambitieux de réforme de Wall Street pour limiter l’influence des banques et des lobbyistes », elle parle, à la gauche du parti et sans paraître extrémiste, non pas de remplacer le capitalisme, mais de le « sauver », synthétise Mme Coste.
Le discours qu’Elizabeth Warren a tenu le soir de sa victoire se terminait par des intonations volontairement présidentiables : « Et demain? Nous retournerons mener la lutte […]. La lutte pour qu’un jour nouveau advienne aux États-Unis, animé d’une politique d’un genre nouveau […]. Nous avons fait tout ce chemin ensemble. Nous nous sommes battus ensemble, nous avons pleuré et résisté ensemble et, sans le moindre doute, nous persisterons dans cette voie. Ce soir, nous adressons un message au monde entier : Ce n’est qu’un début ! » ».
Alors que, désormais, la campagne pour les élections présidentielles de 2020 est sur le point de commencer, par son âge, ses positions et ses succès, Elizabeth Warren fait, pour l’heure, figure de favori, parmi les nombreux candidats potentiels à la primaire démocrate.
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