Les pérégrinations d’un rodéo de taureaux ambulant dans le Nordeste. Un film brésilien à la dimension sexuelle affirmée.
D’abord, une sensation très physique : un amas de corps massifs de bovins cadrés de près, des mugissements, des reniflements, des bruits de sabots, des hennissements, des cris, des barrières en bois qu’on ouvre et referme, puis des garçons vachers(en anglais, des cow-boys) qui empoignent la queue de chaque taureau successif pour la talquer et la nettoyer avant de lâcher la bête. Tout cela est filmé avec tellement de proximité, d’acuité, de précision documentaire et de sensualisme qu’on pourrait presque sentir l’odeur du cuir, des peaux et de la bouse.
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Quelques plans plus tard, on passe des très gros plans au très large plan, tout aussi beau, qui nous dévoile la scène globale de ce qui précède : un rodéo rural, chapiteau de cirque itinérant planté à l’orée d’un bled du Nordeste brésilien, au pied d’une chaîne de montagnes, sous des cieux de peintre et des palmiers ployant sous le vent.
Les codes du western sont d’emblée déplacés
C’est le second film de Gabriel Mascaro, cinéaste de Recife (comme Kleber Mendonça Filho), qui avait obtenu un prix à Locarno 2014 pour Ventos do agosto. Le cow-boy, c’est Iremar, un rugueux et beau trentenaire, qui convoie son troupeau de taureaux de rodéo de village en village avec ses collègues, le brave Zé et la belle Galega, ainsi qu’une fillette d’une dizaine d’années, Caca. Un genre de famille.
Sauf que, de même que les codes du western sont d’emblée déplacés, ne serait-ce que parce qu’on est au Brésil (les taureaux sont morphologiquement différents, avec un genre de bosse, la langue, les paysages, les techniques de rodéo ne sont pas les mêmes qu’au Texas), le film bouscule le concept de famille. Sans commettre de grave spoiler, on constate assez vite que Caca est la fille de Galega mais pas celle d’Iremar, ou que Galega et Iremar ne sont pas un couple mais deux collègues et amis.
Galega conduit le camion, Iremar manie la machine à coudre
Le masculin et le féminin sont soumis eux aussi à des glissements subtils, polysensualistes : c’est Galega qui conduit le camion et qui détient la boîte à outils de la troupe, alors que le très viril Iremar manie la machine à coudre à ses heures perdues, rêvant de quitter sa condition de smicard du rodéo pour devenir couturier-styliste.
Avec des tissus de récup, il dessine et façonne des costumes sexy pour les performances que Galega donne entre deux rodéos, à mi-chemin entre la chanson electro-pop et le strip-tease. Quand Zé sera remplacé, ce sera par le beau Junior, un garçon très féminin qui passe autant de temps à travailler ses mises en pli qu’à s’occuper des bestiaux.
Une dimension physique, sensuelle et même carrément sexuelle
Gabriel Mascaro s’attache à montrer la promiscuité qui règne au sein de cette troupe itinérante, que ce soit entre les adultes, entre eux et la petite Caca, ou entre les humains et les bêtes. On en revient à notre première impression, la dimension physique, sensuelle et même carrément sexuelle du regard de Mascaro.
On a mentionné le nettoyage des queues de taureaux. Ce n’est pas tout… Iremar prend les mensurations de Galega dans une position qui pourrait être coïtale mais ne l’est pas. Galega s’épile le pubis et doit subitement cacher son geste quand surgit inopinément sa fille. La troupe dort, mange, prend ses douches à proximité des taureaux…
Mais encore… Iremar et Zé masturbent un étalon de concours pour recueillir sa semence et la vendre en contrebande (ils échouent d’ailleurs assez comiquement). Nulle surprise à ce que ce polysensualisme finisse par déboucher sur une scène de sexe (entre Iremar et une vendeuse ambulante de parfums) superbe, filmée en un seul plan-séquence large et dans un beau clair-obscur.
Une dimension politique très subtile
Le sexe, c’est le fondement de la vie, mais toute la vie n’est pas réductible au sexe. Rodéo revêt aussi une dimension politique très subtile, discrète, montrant la précarité des travailleurs du rodéo, l’évolution industrielle d’un pays où les usines grignotent petit à petit le paysage, la survie difficile des traditions culturelles rurales, l’artisanat du rodéo étant peut-être vu ici comme une métaphore du cinéma d’auteur.
A sa façon plus laconique, opaque, moins explicative ou transparente, Rodeo dit peut-être la même chose qu’Aquarius de Kleber Mendonça Filho : sous le coup des mutations ultralibérales, au Brésil ou ailleurs, on ne sait pas ce qu’on gagne mais on sait ce qu’on perd.
Rodéo de Gabriel Mascaro, avec Juliano Cazarré, Maeve Jinkings, Alyne Santana (Bré., Uru., P.-B., 2015, 1 h 41)
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