Un premier essai d’une énergie folle doublée d’un discours politique et social habile. Un film populaire, au plein sens du terme, combatif et émancipatoire.
A Cannes, dans le brasier de l’évènement en direct live, on avait insisté sur les qualités les plus chaudes, les plus immédiates de Divines : son énergie de feu, ses dialogues en rafales de flow, ses actrices et acteurs éblouissants de talent et de fraîcheur, son punch de boxeur Scorsese’ style, sa façon de se réapproprier les codes du “film de banlieue” en les féminisant, un peu comme l’avait fait Bande de filles – sauf qu’ici, les filles arrivent vraiment à en remontrer aux mecs.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Trois mois après, ces ingrédients qui font du film d’Houda Benyamina le plus beau coup de boule du cinéma français depuis L’Esquive sont bien sûr toujours présents, mais à froid, on a plutôt envie d’insister sur les beautés plus secrètes du film, moins à l’estomac. Car Divines est autant romantique que physique, autant politique que social, autant pensé et mûrement réfléchi que spontané et pulsionnel.
Un dur parcours d’apprentissage
Côté romantisme, on pense à l’histoire de séduction entre l’héroïne Dounia et Djigui, le vigile du Carrefour local qui est aussi danseur de hip-hop. Dounia l’espionne depuis les cintres du théâtre où il répète, un peu comme Noodles matait Deborah depuis un trou dans le mur des chiottes dans Il était une fois en Amérique – sauf qu’ici, c’est la fille qui mate. Cet amour ténu, qui pousse timidement comme une fleur dans le béton, est aussi beau que le regard posé par Benyamina sur les gracieuses arabesques corporelles du danseur.
Sur son versant politique, le film est d’une extrême finesse, qui voit nos héroïnes ne pas se satisfaire de la mosquée pour s’épanouir, puis épouser tous les rêves capitalistes et masculinistes d’une partie de la culture rap qui correspondent aux valeurs que vend à chaque minute notre société libérale marchande, celles que promeuvent bien avant les caïds de quartier les Sarkozy, Bolloré ou Séguéla : le rêve ultime d’une existence comblée, ce serait donc le fric roi (“Money money money” répètent-t-elles comme un mantra) et tout ce qui va avec (voiture de sport, Ray-Ban, Rolex, voyages de luxe)… Ce projet purement matérialiste, elles finiront par en descendre brutalement, selon un dur parcours d’apprentissage.
La portée politique du film touche aussi au joyeux brouillage du masculin et du féminin, avec ces rôles distribués à l’envers des clichés et du machisme réel ou fantasmé des quartiers : une héroïne qui se bat seule sans père ou grand frère pour la tenir en laisse, une fille cheffe du réseau de trafiquants avec des gars à sa botte, un autre qui est danseur – l’inverse de chez Leone ! –, sans oublier un personnage secondaire de travesti truculent…
Le désormais légendaire “t’as du clito”
Le politique passe aussi par la forme, que ce soit à travers les dialogues (le désormais légendaire “t’as du clito” qui remplace l’usuel et usé “t’as des couilles”) ou dans cette incroyable séquence de classe d’apprentissage du métier d’hôtesse où Dounia pulvérise la bienséance et sa prof : se superposent ici dans un emboîtement virtuose le jeu de rôle du cours, le jeu social et le jeu des interprètes.
Derrière la faconde kéchichienne et les uppercuts scorsésiens, Divines découle aussi de Pasolini et Fassbinder, autres grands référents de Benyamina : un film populaire au plein sens du terme (qui parle du peuple et au peuple), un chant rageur, drolatique et tragique, un cri à la fois trivial et sophistiqué d’émancipation et de liberté. Miossec chantait “Regarde un peu la France…” : transfigurée par Houda Benyamina et ses actrices, elle est combative et magnifique.
Divines d’Houda Benyamina (Fr., 2016, 1 h 45)
{"type":"Banniere-Basse"}