Le roman lui a valu le prix Renaudot, décerné le 7 novembre: dans “Le Sillon” (éd. Le Tripode), Valérie Manteau entreprend de raconter la vie de Hrant Dink, journaliste turco-arménien assassiné. Puis son récit dérive, et l’auteure narre sa propre errance dans Istanbul, une ville en déshérence.
On se souvient de l’entrée en littérature de Valérie Manteau en 2016. Calme et tranquille se confrontait à un sujet impossible à écrire : le souvenir de ses amis et confrères de Charlie Hebdo assassinés. Le Sillon, son second roman, se penche sur un autre destin funeste, qui présente de nombreuses similitudes avec le premier : celui de Hrant Dink, journaliste turco-arménien abattu en pleine rue, à Istanbul en 2007, devant le siège de son journal, Agos. Un projet littéraire louable mais tout aussi difficile.
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Le génocide arménien reste un scandale, avec ce négationnisme d’Etat qui perdure en Turquie, et Dink était un homme admirable, martyr d’une cause qu’il fit plus avancer que quiconque, héroïque par son choix de rester dans son pays (il se considérait comme turc autant que comme arménien), d’y prôner encore et toujours la paix, malgré les menaces de mort, le procès, la tentation de l’exil. L’écrivaine trouve la bonne approche pour écrire sur ce sujet et son enquête minutieuse redonne vie à l’enfant, l’adolescent et l’homme que fut Dink, tout en déconstruisant la légende.
“Serait-ce parce que son prénom est si difficile à prononcer ?”
Elle s’interroge aussi sur les raisons pour lesquelles il reste méconnu en Occident (“Serait-ce parce que son prénom est si difficile à prononcer ?”). Manteau est pourtant consciente qu’elle reste, pour la plupart des gens qu’elle côtoie, cette petite Française débarquée de Marseille.
Aussi change-t-elle peu à peu son fusil d’épaule pour écrire un livre plus fort, honnête, audacieux sur sa vie en Turquie, son idylle avec ce jeune Stambouliote qui lui échappe, s’échoue sur les rives du Bosphore, à l’image des illusions qu’elle s’était faites sur ce pays.
Un récit parallèle au premier raconte ainsi ses recherches et errements ; le quotidien d’une ville qui dépérit, se révolte, tombe bien bas, n’arrive plus à se relever. On y retrouve ce style particulier, une forme d’autofiction sans prétention, écriture de l’instant qui laisse parler les émotions, assumant la part d’anecdotique que l’exercice peut impliquer.
Sa sincérité rappelle Emmanuel Carrère
Le regard que l’auteure pose sur ce qui l’entoure est juste, pertinent. Il a cette vérité de ceux qui s’intéressent au banal, à l’infra-ordinaire comme disait Georges Perec. Si Le Sillon aurait pu éviter certaines citations d’écrivains dissidents devenus amis (Asli Erdogan notamment), qui alourdissent parfois le propos, il suit le reste du temps sa voie avec grâce et panache.
Autofiction ? L’expression est presque réductrice car Valérie Manteau utilise aussi ses talents de journaliste qui sait allier rigueur, sens de l’observation et regard critique. Sa sincérité rappelle Emmanuel Carrère, ce “je” d’autant plus délicat et douloureux à écrire qu’il met à poil, révélant ses imperfections, ses défauts. Le roman d’un échec donc, mais rien n’est plus beau que les histoires qui se terminent mal parce qu’elles se font dépasser par leur sujet.
Le Sillon (Le Tripode), 280 p., 17 €, en librairie le 30 août
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