Du plus bel orchestre symphonique à l’électro la plus flamboyante, le cinéma a réussi à trouver de nombreux atours pour porter ses images. Alors que les années 2010 touchent à leur fin, retour sur 20 bandes originales qui ont marqué la décennie.
Pour Quentin Tarantino, l’amour de la musique de films est né avant tout d’une frustration. Celle qui l’empêchait, dans sa prime jeunesse, de revisionner une œuvre une fois qu’elle n’était plus programmée dans une salle de cinéma. En écouter la bande originale devenait ainsi une nécessité, une façon de revivre un film en en fantasmant les images, uniquement épaulé par le son.
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Le plus beau dans cette histoire, c’est que Tarantino s’est rendu compte que les plans qu’il imaginait finissaient toujours par être différents du film originel, à tel point que les morceaux devenaient des bases idéales pour ses idées, ses images.
En plus de justifier son emploi régulier de titres existants dans ses propres longs-métrages, le cinéaste met en avant la nécessité que les musiques de films aient une identité propre, indépendante des images qu’elles accompagnent. C’est pourquoi, alors que 2019 approche à son terme, il est temps de revenir sur une décennie de bandes originales qui auront su se démarquer par leur variété d’approches et de sonorités.
De l’orchestral le plus somptueux à l’électro la plus minimaliste, des génies reconnus aux jeunes surdoués émergents, les musiques de films ont adopté de multiples visages, qui ont pu autant sublimer les émotions portées par un cinéaste que celles de notre quotidien. Comme Quentin Tarantino, (re)créons ensemble les images qui hantent notre esprit, au travers des 20 bandes originales qui ont marqué les années 2010.
(Attention, l’appellation bande originale inclut uniquement les morceaux composés pour un film. Nous avons donc exclu les œuvres reposant sur des chansons préexistantes.)
20. Only Lovers Left Alive (Jozef van Wissem, SQÜRL, 2013)
Avec son groupe de rock SQÜRL, Jim Jarmusch offre à son film de vampires moderne un aspect délétère, et ce dès sa reprise de Funnel of Love de Wanda Jackson. Avec ses sonorités brutes, imparfaites et grinçantes, le réalisateur incorpore à l’ensemble une sorte d’impureté humaine, un élan anti-technologique cohérent avec ses personnages immortels et ermites, qui rejettent le monde contemporain.
Il y a quelque chose de cassé dans la bande originale du film, comme l’annonce d’un monde qui se dirige vers sa fin, magnifiée par les plans d’un Détroit décrépis. Mais la meilleure idée de Jarmusch réside dans son emploi du luth, joué par le musicien et compositeur Jozef van Wissem. L’instrument apporte une dimension intemporelle au récit dépressif du cinéaste, comme des touches de passé frappant avec une étonnante mélancolie un présent morose. Une expérimentation musicale fascinante et unique.
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19. Imitation Game (Alexandre Desplat, 2014)
Aussi talentueux qu’ultra-productif, Alexandre Desplat a composé une bonne quantité de BO marquantes en cette décennie. D’Harry Potter les reliques de la mort – Partie 2 à La Forme de l’eau en passant par Godzilla ou The Grand Budapest Hotel, le compositeur n’a cessé de varier les genres et les tonalités. Néanmoins, on choisira de s’attarder sur sa partition pour Imitation Game, création d’une touchante subtilité, où les émotions enfouies d’Alan Turing se confrontent à l’Histoire.
Le piano du musicien, qui semble avancer à pas feutrés, soutient un bouillonnement intellectuel qui ne demande qu’à éclater, surtout lorsque ses leitmotivs s’accordent avec le fonctionnement de la machine servant à décrypter Enigma. Desplat sait dès lors lâcher la bride dans des élans lyriques d’une beauté sans nom, et plus généralement dans une orchestration fine qui soutient la course contre la montre du récit.
Au sein de leur bulle désenchantée, les chercheurs britanniques ne peuvent que deviner l’horreur de la Seconde Guerre mondiale. La musique d’Alexandre Desplat accompagne ce hors-champ tragique, qu’il relie constamment à un héroïsme ordinaire, à un simple homme devant accepter son identité pour sauver le monde. Si elle s’implante parfaitement dans le long-métrage, cette musique gagne encore en densité lors d’une écoute isolée. Un bijou symphonique qui recèle de nombreux secrets.
18. Les Huit salopards (Ennio Morricone, 2015)
Comme dit précédemment, Quentin Tarantino aime puiser dans des bandes originales existantes pour construire l’ambiance de ses propres films. Dès lors, quoi de mieux pour son western glacial en huis clos que de piocher dans la partition de The Thing de John Carpenter, en utilisant un morceau inutilisé du géant Ennio Morricone ? Par la force des choses, le mythique compositeur s’est retrouvé à reprendre son thème, avant de signer l’entièreté de la musique du film. Et c’est ce parcours étonnant qui rend cette proposition si entêtante et unique.
Plus proche du thriller ou du whodunit que du western spaghetti, qui a donné ses lettres de noblesse à Morricone, la bande originale des Huit salopards navigue en eaux troubles, avec une gestion de la tension hallucinante. Le Maestro joue de son orchestration avec malice, comme si ses notes savaient, un temps avant tout le monde, ce que le destin réserve aux personnages. Composée à la manière d’une épée de Damoclès, cette partition est non seulement une bénédiction, mais la preuve que la rencontre entre Quentin Tarantino et son idole était aussi inévitable qu’indispensable.
17. Jupiter : Le Destin de l’univers (Michael Giacchino, 2015)
S’il est souvent considéré comme le fils spirituel de John Williams, Michael Giacchino est bien plus que cela, et s’est affirmé par ses nombreuses partitions, aussi inventives que galvanisantes, comme l’un des compositeurs (si ce n’est LE compositeur) le plus important de ces vingt dernières années.
Après avoir collaboré à cet incroyable film sous psychotrope qu’est Speed Racer, les sœurs Wachowski ont recontacté l’artiste pour qu’il soutienne leur nouveau projet de space opera ambitieux. Et si Jupiter : Le Destin de l’univers a subi un échec cuisant, enterrant toute potentielle suite à son univers riche et débridé, Giacchino a fortement contribué à le magnifier par sa musique.
En effet, les Wachowski ont choisi une approche originale pour la production du métrage, imposant au compositeur d’écrire plusieurs morceaux avant le tournage, avec l’aide de simples fiches décrivant les personnages, les décors et certaines séquences. Michael Giacchino en a ainsi profité pour délivrer l’une de ses orchestrations les plus dingues, sublimée par une symphonie en quatre mouvements d’une beauté indescriptible. Les images des Wachowski, mais surtout leur travail sur le hors-champ ont pu profiter d’une ampleur supplémentaire par cette proposition épique et émouvante. En bref, un opéra moderne d’une maîtrise sensationnelle !
16. Interstellar (Hans Zimmer, 2014)
Si Hans Zimmer s’est quelque peu engoncé dans ses tics musicaux, ses collaborations avec Christopher Nolan le poussent toujours dans ses retranchements. Dans le cas d’Interstellar, Nolan aurait donné une page de script au compositeur, sans contexte, et centrée sur la relation du personnage principal avec sa fille, avec pour requête qu’un morceau soit écrit en une journée à partir de ce texte. Zimmer en tirera la douce mélodie au piano qui parcourt le film, cœur humain d’une fresque spatiale portée au fur et à mesure par une orchestration épique et transcendantale.
Dès lors, l’univers dense et les concepts scientifiques du long-métrage deviennent une source passionnante d’expérimentations. Lorsque les astronautes atterrissent sur une planète-océan où l’écoulement du temps est plus lent que sur Terre (une heure y représente sept années), le morceau Mountains y déploie des percussions discrètes, gouttes d’eau qui symbolisent une à une, comme une horloge infernale, chaque jour qui passe sur Terre. Zimmer se jette à corps perdu dans cette fuite désespérée du temps, avec ses claviers agressifs (Coward) ou ses ostinatos déments (No Time For Caution, Cornfield Chase), de telle sorte que le film n’hésite pas à monter le volume et à ébouriffer le spectateur.
15. Premier contact (Jóhann Jóhannsson, 2016)
Pour le film de science-fiction éthéré de Denis Villeneuve, où des spécialistes en linguistique tentent d’entrer en contact avec des extraterrestres, le regretté Jóhann Jóhannsson a lui-même utilisé la musique comme outil de dialogue épuré et expérimental. Sa partition entremêle différents types de voix, tel un chant grégorien moderne qui confère à l’ensemble un aspect spirituel, voire fantomatique.
Le mixage brillant, qui rend parfois confus l’identité d’un son, oblige à une écoute active, surtout au sein du film. On ne pouvait pas rêver mieux pour plonger pleinement dans la tête de ces chercheurs bouleversés par la réalité qui s’offre à eux. Sans jamais sombrer dans un gigantisme facile, Jóhannsson étend l’intimité de sa bande originale, et crée une connexion touchante entre son héroïne endeuillée (Amy Adams) et l’appel vers l’ailleurs que convoquent les aliens. Avec un jeu de textures qui accompagne à la perfection les images de Villeneuve, la recherche sonore de ce compositeur brillant engendre une sensorialité envoûtante.
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14. Carol (Carter Burwell, 2015)
En plus de comporter plusieurs standards des années 1950, la bande originale de Carol nous plonge avec aisance dans son contexte si bien capté par la caméra de Todd Haynes. L’amour interdit entre deux femmes amène le compositeur Carter Burwell à signer une musique touchante, consciente de l’héritage du mélodrame (Douglas Sirk en tête) que le cinéaste convoque.
Pourtant, si la partition de Carol comporte de belles envolées instrumentales, elle conserve également une tendresse et une délicatesse qui la pousse à la retenue. On retiendra particulièrement sa clarinette langoureuse et sa harpe enchanteresse, qui permettent à la passion de ses héroïnes de briller de mille feux. Burwell fait de sa création un bijou d’orchestration acoustique, parfait pour le romantisme à fleur de peau du long-métrage.
13. Gravity (Steven Price, 2013)
Gravity est non seulement un chef-d’œuvre de cinéma technologique, mais il est plus simplement un film incroyable sur la transcription des perceptions du corps. Et lorsque ce dernier évolue dans le milieu le plus hostile à la vie, une certaine universalité de la condition humaine se fait jour soudainement. Steven Price l’a parfaitement compris, et implémente au sein de son orchestration un travail de sound design fascinant, qui amplifie (ou pervertit) les quelques sons étouffés que les oreilles de Sandra Bullock parviennent à capter dans sa combinaison.
Donnant l’impression d’évoluer dans un cocon anxiogène, la bande originale de Gravity n’en oublie pas cependant de développer un sens du sublime et de l’épique au moment où son héroïne reprend goût à la vie. Le mixage métallique des cordes et des vents diminue progressivement, et laisse place à des chœurs magnifiques. On retiendra particulièrement les montées lyriques des morceaux Shenzou et Gravity, qui emportent tout sur leur passage, alors que l’organique impose limpidement son retour.
12. Good Time (Oneohtrix Point Never, 2017)
Daniel Lopatin, plus connu sous le nom Oneohtrix Point Never, a surpris tout le monde au festival de Cannes lorsque Good Time, le film des frères Safdie, a été diffusé en compétition officielle. Au cœur de la nuit new-yorkaise, sa musique électronique convoque avec brio Tangerine Dream, tout en y incorporant des sonorités uniques, et joyeusement bizarres.
Les néons étourdissants de la ville se conjuguent parfaitement avec ses claviers acides, dans un élan synesthésique qui frappe en plein cœur. L’ensemble se lance alors dans une course-poursuite endiablée, grâce à des leitmotivs frénétiques qui deviennent progressivement fous. Et puis, soudainement, la musique se pose, à la manière d’une ballade, grâce à la merveilleuse chanson finale, The Pure and the Damned, où la voix rocailleuse d’Iggy Pop intervient comme pour conter une berceuse.
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11. Le Roi Arthur : La Légende d’Excalibur (Daniel Pemberton, 2017)
Il est souvent amusant de constater que certaines des bandes originales les plus impressionnantes et novatrices parviennent à tirer vers le haut des films qui ne le méritent clairement pas. Pour sa tentative de version musclée et moderne du Roi Arthur, qui s’est avérée être un sacré nanar involontaire, Guy Ritchie a fait appel à son ami Daniel Pemberton, sans doute l’un des compositeurs les plus doués de sa génération, auquel on doit des partitions aussi expérimentales que mémorables (Steve Jobs, Spider-Man : Into the Spider-Verse). Et voilà que le bougre profite de ce projet faisandé pour en tirer une musique dantesque !
Sorte de confrontation homérique entre une orchestration classique et son héritage rock, Le Roi Arthur jouit d’une rythmique ultra-énergique, où nos oreilles sont captées par les tentatives les plus improbables. Les sonorités celtiques se conjuguent avec des voix ténébreuses, des halètements, et même des joues tapotées.
Pemberton allie l’organique et l’électrique pour un résultat aussi halluciné que le film de Ritchie, course-poursuite interminable qui parvient, en écoute isolée, à vraiment couper le souffle. Ramenant l’heroic fantasy à tout un pan de la musique qui s’en est nourri, Daniel Pemberton a signé une bande originale virtuose et joyeusement dégénérée. A redécouvrir d’urgence !
10. La La Land (Justin Hurwitz, 2016)
On oublie trop souvent que Justin Hurwitz est un ami de longue date de Damien Chazelle, et que la réussite de La La Land n’aurait sans doute pas été aussi évidente sans lui. En trouvant un équilibre parfait par rapport à la tonalité ambiguë du film, à la fois nostalgique et désenchantée, le compositeur a su marier avec talent un swing jazzy et une orchestration symphonique ultra-complète, pour un résultat rendant parfaitement hommage aux musicals d’antan.
Mais à l’instar du film, la bande originale de La La Land ne cesse de surprendre, surtout lorsque sa légèreté et sa retenue (renforcées par l’emploi de la harpe, de la guitare acoustique et même du célesta) laissent place à des piques lyriques bouleversantes.
La BO et ses chansons aident à façonner un monde rongé par son artificialité inévitable. La pureté des sentiments des personnages, mais aussi leurs paradoxes, engendrent un contraste magnifique entre une magie sincère et un sens du tragique que la musique sait capter. Le piano plein d’entrain d’Hurwitz peut accompagner un plan séquence énergique (Another Day of Sun) ou se faire discret lors de l’audition tétanisante du personnage d’Emma Stone, avant une explosion instrumentale orgasmique.
Savant et respectueux de ses référents, tout en étant profondément moderne, le compositeur s’est imposé avec cette bande originale déjà culte comme un nouveau génie du genre. Et sa création tout aussi magnifique pour First Man n’a fait que le confirmer.
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9. It Follows (Disasterpeace, 2015)
Pour beaucoup de connaisseurs, Richard Vreeland, de son nom de scène Disasterpeace, est avant tout le compositeur du sublime jeu vidéo FEZ. Il y déployait alors toutes ses expérimentations en matière d’électro chiptune, comme autant de nappes synthétiques et d’effets de saturation magnifiant un âge d’or perdu des jeux vidéo 8-Bit. Avec ses claviers que l’on jurerait en pleine mélancolie proustienne, Vreeland paraissait tout indiqué pour porter les images du deuxième long-métrage de David Robert Mitchell, teen movie horrifique autour d’une jeunesse sacrifiée.
C’est qu’avec son contexte contemporain, décrivant une Amérique pavillonnaire qui semble ne pas avoir changé depuis les années 80, It Follows capte une forme de stagnation grondante, réveillant l’imaginaire des cinéastes qui ont su la bouleverser. On pense bien évidemment à John Carpenter, dont les bandes originales mythiques infusent clairement le score de Disasterpeace, tout en permettant à ce dernier d’apporter sa touche nostalgique, au travers de pointes vintage poignantes.
Le compositeur alterne ainsi les boucles acides et frénétiques avec des pauses contemplatives, dont les effets de style renforcent brillamment le désespoir des personnages. Le résultat est encore plus émouvant lorsqu’ils déambulent dans un Détroit laissé à l’abandon. Les sonorités chiptune ont alors la force d’un chasseur de fantômes, donnant la parole aux spectres esseulés qui parcourent ce monde à la dérive.
8. Star Wars : Le Réveil de la Force (John Williams, 2015)
C’est un euphémisme de dire que la bande originale accompagnant le retour de Star Wars était la plus attendue de la décennie. Et pour l’occasion, John Williams, le compositeur iconique de la saga, aurait pu se contenter de reprendre sans grande originalité ses thèmes mythiques.
Si ces derniers sont bien présents, l’artiste s’est dépassé pour sublimer la nouvelle ère débutée par J.J. Abrams. Décalant constamment nos attentes, la musique se confronte à un univers de nouveau en germe. Qu’il s’agisse des quatre notes caractérisant le développement incertain de Kylo Ren, ou de l’esprit progressivement aventureux qui se dégage du thème de Rey, Le Réveil de la Force jouit d’un savoir-faire irréprochable, d’une fausse simplicité qui dissimule en réalité une richesse inépuisable.
Par ailleurs, l’énergie du storytelling abramsien se conjugue parfaitement à l’orchestration pétaradante de Williams. On osera même dire que le compositeur, qui a souvent dû faire face au charcutage de ses morceaux par les montages de George Lucas, a pu pleinement développer ici son génie, en accord avec le découpage du réalisateur. Ce jusqu’au-boutisme est particulièrement perceptible dans The Jedi Steps and Finale, conclusion virtuose qui regroupe avec une fluidité déconcertante l’ensemble des thèmes du film, comme autant de leitmotivs qui contribuent à écrire la mythologie de Star Wars.
7. 120 Battements par minute (Arnaud Rebotini, 2017)
Après avoir contribué au précédent film de Robin Campillo (Eastern Boys), le génial compositeur et DJ Arnaud Rebotini s’est montré des plus inspirés pour la bande originale du coup de poing de Cannes 2017. Pour suivre les membres de l’association Act Up et leur lutte difficile contre le sida, l’artiste a retrouvé un esprit techno qui confère aux scènes de boîte de nuit une énergie folle, et une sensualité qui se répercute sur l’ensemble du découpage du cinéaste.
Imposant certains de ses titres avant même le début du tournage, Rebotini offre à ses loops une grande force symbolique, cohérente avec le combat perpétuel des personnages contre une menace invisible, qu’ils cherchent à rendre concrète aux yeux du monde. Pour cela, le compositeur a également gardé dans ses thèmes des sonorités acoustiques. La harpe, la flûte et la clarinette donnent à l’ensemble une douceur salvatrice, et une richesse d’écoute qui nous pousse à redécouvrir l’album, encore et encore. De toute façon, le merveilleux remix de Smalltown Boy des Bronski Beat a suffi à faire de cette bande originale un incontournable.
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6. Dragons 2 (John Powell, 2014)
Alors que DreamWorks a souvent souffert de ses récits peu engageants et de son humour post-moderne omniprésent, la saga Dragons a pu amener un réel souffle émotionnel au studio d’animation, qui a pu dépeindre, avec un magnifique univers d’heroic fantasy, le passage progressif d’un enfant vers l’adolescence et l’âge adulte. Et il va sans dire que Dragons doit énormément à l’inspiration de John Powell, qui a su développer dès le premier volet des thèmes flamboyants.
Mais avec Dragons 2, l’artiste va encore plus loin. Mixage repensé, orchestre amplifié, thèmes revisités et nouveaux leitmotivs composent ce qui est tout simplement l’une des meilleures partitions de la décennie. Passant d’une légèreté juvénile à la gravité la plus exigeante, Powell swingue entre les genres, et nous embarque dans ses rythmiques enchanteresses où le moindre violon, le moindre cor et la moindre flûte ont l’occasion d’apporter leur touche.
Comme une toile impressionniste parfaite pour les visuels colorés du film, la bande originale de Dragons 2 aborde toute la complexité des sentiments adolescents, mosaïque déconstruite qui retrouve pour point d’ancrage le voyage archétypal du héros. Les sonorités celtiques viennent alors embellir une musique aussi épique que bouleversante. Indispensable !
5. The Social Network (Trent Reznor et Atticus Ross, 2010)
La précision des images de David Fincher ne peut être qu’une source d’inspiration pour ses compositeurs. Après avoir utilisé une version instrumentale d’un morceau du groupe de rock industriel Nine Inch Nails pour Fight Club, le cinéaste a directement fait appel à son membre principal, Trent Reznor, pour accompagner son chef-d’œuvre sur la fondation de Facebook. Reznor, avec l’aide d’Atticus Ross, a sans nul doute livré l’une des BO les plus belles et complètes de la décennie.
Dès les premières secondes du film, la solitude ironique de Mark Zuckerberg est incarnée par des touches discrètes de piano, progressivement accompagnées de plages de basses entêtantes et de sonorités électriques. Le dynamisme de l’instrumentalisation s’accorde à la profusion d’informations des dialogues et du montage, au génie inconscient des créateurs d’un réseau social qui a changé la face du monde.
Ce n’est d’ailleurs pas étonnant que Reznor et Ross convoquent l’acidité des sons 8-Bit pour raviver la fascination d’une informatique en constante évolution. Mais ensuite, de bourdonnements étranges en ondulations électros tourmentées, le piano résiste dans une véritable croisade musicale, tout comme Zuckerberg s’isole du monde et de ses amis. Distordue et magnétique, à l’image de sa reprise jouissive d’Edvard Grieg, la bande originale de The Social Network est un diamant brut qui capte à merveille le mal-être d’un homme décisif dans l’histoire du XXIème siècle.
4. Under the Skin (Mica Levi, 2014)
A l’image du film qu’elle accompagne, la bande originale d’Under the Skin donne la sensation d’entrer dans un autre monde, de faire face à l’étrange de la plus pure des manières. Avec ses leitmotivs électroniques sinueux, le travail de Mica Levi pénètre dans la psyché de son héroïne, épaulant le trajet empathique que le spectateur doit entreprendre.
De la même manière que l’alien prend possession du corps de Scarlett Johansson, simple enveloppe pour découvrir le monde, la musique déploie des sonorités sourdes, donnant l’impression de se trouver à l’intérieur d’une surface creuse, passerelle nécessaire pour nos sens.
Rarement une BO des années 2010 n’a aussi bien traduit le ressenti complexe d’un personnage, d’autant plus que ce dernier n’est pas humain (ou du moins essaie de comprendre ce que signifie être humain). Au sein des loops enivrants, et de ce violon disharmonieux rampant comme un serpent, la composition de Mica Levi capte la fragilité de la race humaine, et sa solitude. Le morceau Love, pinacle de cette partition magnifique, condense ce brio avec ses aplats de cordes remixées, offrant à l’ensemble un aspect incertain, maladroit. Human after all.
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3. Inception (Hans Zimmer, 2010)
Quand on repense à l’ensemble des bandes originales de cette décennie, il est évident que celle d’Inception a eu une influence particulière sur toute l’industrie du cinéma, irriguant avec son style électro-rock-orchestral la majorité des productions hollywoodiennes (et même les bandes annonces). Pourtant, si d’aucuns résument la partition d’Hans Zimmer à une accumulation d’effets chocs (surtout ses fameux « bwoh » de cors), elle recèle une véritable méticulosité.
Sublimant la mosaïque mentale de Christopher Nolan, le compositeur entremêle ses instruments (dont la guitare électrique de Johnny Marr) dans un mixage surprenant, ensemble de couches qui forment la structure des rêves et leurs interconnexions. Ses nappes métalliques, accompagnant les souvenirs refoulés de Leonardo DiCaprio, laissent régulièrement leur place à des moments de tension brillants, où la violence de l’instrumentalisation fait plonger les basses dans le plus profond de notre âme, alors que les personnages doivent se réveiller.
C’est en écoute isolée qu’on se rend compte à quel point l’immersion du film de Nolan dépend de la musique, qui intellectualise avec génie ses enjeux. Et entre les percussions orgasmiques de Mombasa et l’ampleur dantesque de Dream Is Collapsing, Hans Zimmer a sans doute livré son plus beau morceau avec Time, final déchirant et ostinato spectaculaire, où un simple piano nous porte avec Dominick Cobb vers ses enfants, qu’il peut enfin retrouver. Les notes se posent délicatement, attendant de savoir si le héros est toujours prisonnier d’un rêve ou pas. Mais ça, on ne le saura jamais…
2. Star Trek : Into Darkness (Michael Giacchino, 2013)
Michael Giacchino ne pouvait pas apparaître qu’une seule fois dans ce classement, et il eut été impossible de passer à côté de sa contribution aux reboots de Star Trek, initiés par J.J. Abrams en 2009. Plus confiant et aventureux, le compositeur signe pour Into Darkness une partition qui ne se prive de rien, tout en gardant constamment en ligne de mire les nuances thématiques et politiques d’un film où l’innocence de la conquête spatiale laisse place à un isolationnisme terrifiant.
Si le compositeur est un génie pour la musique d’action (en témoigne le délirant prologue du métrage, qui offre à Giacchino la possibilité de traiter une palette d’émotions variée en pleine panique), il est clairement à son meilleur lorsqu’il peut s’approprier une scène. En témoignent le magnifique London Calling et son piano bouleversant, qui donnent tout son sens à une séquence muette a priori anodine, où de simples quidams vont devenir les pions d’une machination qui les dépasse.
Ce contraste d’échelle permanent, qu’Abrams maîtrise à merveille, ne serait cependant rien sans les coups d’éclat de l’orchestration de Giacchino. Le compositeur renvoie toujours l’ampleur du space opera à un cœur humain, que l’on ressent particulièrement dans le morceau Buying The Space Farm. Enfin, impossible de ne pas évoquer le nouveau thème qui traverse cette trilogie, que l’on osera considérer comme l’un des plus grands moments de musique de film, toutes périodes confondues. En bref, une BO fondamentale, qui confirme son auteur comme un maître du genre.
1. Tron : L’Héritage (Daft Punk, 2010)
Il y a des collaborations qui sonnent tout de suite comme des évidences. En revisitant Tron, son classique pionnier de la science-fiction (le premier film à contenir une séquence entièrement en images de synthèses), Disney a eu le nez fin en y implantant les Daft Punk, dont l’imaginaire est très clairement hérité de la pop culture des années 1980.
Résultat, les deux génies casqués en viennent à complètement hacker le long-métrage de Joseph Kosinski, de façon à même rattraper certaines de ses carences. Ne serait-ce qu’à travers leur réjouissant caméo en tant que DJs de boîte de nuit, les Daft se répandent comme un virus informatique. Or, Tron : Legacy ne parle que de contamination, celle d’un monde numérique voulant déborder sur l’organique, et qui se traduit par une confrontation perpétuelle entre la musique symphonique et électronique.
Dès lors, le film, somme toute assez étriqué, gagne une ampleur et un hors-champ insoupçonné. Le morceau Rinzler en est un bon exemple. Cet ostinato dément, où le staccato des violons et le legato des flûtes deviennent de plus en plus assourdissants, sature au point qu’il semble se pixéliser, et éclater en milliers de morceaux comme les corps désintégrés du film. Les Daft Punk osent tout, en particulier quand le métrage se retient. Alors que la chute de la Grille et le génocide qui y est lié se résument en quelques plans, les deux artistes s’offrent un adagio poignant, porté par un violoncelle et un orgue extirpés de basses électros enivrantes.
A vrai dire, on pourrait passer des heures à louer le génie de ce soundtrack historique, des loops endiablés de Derezzed aux percussions martiales de Disc Wars. En somme, les Daft Punk ont non seulement transcendé une œuvre bancale, mais ils ont su apporter une véritable signification à « l’héritage » du titre. Parce qu’entre l’épure de Philip Glass, les claviers de Vangelis, l’acidité de John Carpenter ou encore la majesté des orchestrations zimmeriennes, ils retracent toute une histoire de la musique de film, condensée dans le génial End Titles. Chef-d’œuvre absolu !
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