Dans un touchant recueil de souvenirs, l’égérie de la Nouvelle Vague se raconte avec humour et pudeur.
Il pourrait paraître paradoxal qu’un livre de souvenirs s’intitule J’ai oublié. La première bonne surprise des mémoires écrits par Bulle Ogier en la compagnie amicale d’Anne Diatkine, c’est que ce qui est prétendument oublié est souvent aussi puissant, drôle et émouvant que tout ce qui a droit au noble statut de souvenir. Ne serait-ce que parce que le souvenir “autorisé” autant que le permis d’oublier comportent toujours une part de reconstruction, de fabulation ou d’ennui. Elle dit : “Les histoires qu’on raconte s’éteignent à force d’être répétées.”
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Une étoile bienveillante qui encourage à vivre autrement
Donc, par exemple, Bulle Ogier a oublié toutes les représentations de Winter’s Tale de Shakespeare monté par Luc Bondy au Théâtre des Amandiers à Nanterre mais se souvient parfaitement, tragiquement, qu’elles ont eu lieu après la mort de Pascale Ogier, sa fille. “J’ignore combien de mois ou d’années après, le temps ne se démembrait plus, il n’y avait plus de mesure, plus d’heures, plus de semaines, il s’était rétracté en boule, une boule élastique qui m’englobait et dans laquelle je roulais, et je roule toujours…” Tout est ainsi dit de la douleur d’une mère en deuil de sa fille, d’une femme qui a perdu une amie, une complice. Elle se souvient aussi, épisode en revanche hilarant, qu’elle a joué au ping-pong avec le roi du Népal en buvant du pouilly-fuissé.
“Etre filmée par des gens qui ont un regard”
La vie de Bulle Ogier ainsi racontée, tout en pudeur et délicatesse, est évidemment un roman. Son sous-titre pourrait être : “mémoires de la cave”. “J’ai oublié le nombre de caves qui ont compté dans ma vie, mais je sais qu’elles sont nombreuses, toute ma vie j’ai eu une cave à débarrasser.” Et d’ajouter, preuve d’un humour aussi fou que l’amour : “J’ai trois-cent-quatre-vingt-dix-sept paires de chaussures à la cave.” Ce qui est beaucoup, même pour une star d’une telle pointure.
Oui, une star, tant ses apparitions de l’aube des années 1970 jusqu’à nos jours sont comme la lueur d’une étoile bienveillante qui encourage à vivre autrement. Elle le dit simplement mais sans nostalgie : “On était aussi fous que nos personnages et les imprévus étaient constants. Ce qui n’était pas normal, c’était quand tout se passait normalement.” Son plan de carrière ? “Etre filmée par des gens qui ont un regard.” En effet : Marc’O, Rivette, Tanner, Daniel Schmid, Werner Schroeter, Téchiné, Fassbinder, Philippe Garrel, Buñuel, Duras, Oliveira et… Barbet Schroeder, son compagnon, son éternel à elle. “J’ai toujours su qu’il est l’homme de ma vie et que je suis la femme de sa vie.” Et puis cette citation de Shakespeare, d’une sagesse radicale et intimidante : “Dites-moi ce que je peux espérer de la vie qui puisse me faire peur de mourir.”
J’ai oublié de Bulle Ogier, avec Anne Diatkine (Seuil), 240 p., 19 €
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