Le réalisateur de « La grande bellezza » réussit le tour de force de faire un film non politique sur Berlusconi en se perdant dans les méandres psychologiques d’un portrait d’homme de pouvoir. Un long pensum qui ne parle de rien.
Umberto Eco disait que le problème n’était pas Berlusconi mais le fait que les Italiens élisent Berlusconi. Et c’est un peu ce qu’on se dit (parce qu’on a le temps de penser) pendant les deux heures et demie interminables de ce navet aussi prétentieux, moche et criard que tous les films précédents de Paolo Sorrentino (La Grande Bellezza, Il DIvo, L’ami de la famille…) – un Sorrentino qui par ailleurs a toujours cultivé un amour fétichiste pour toute forme de laideur (des sentiments, de la pensée, du sexe, etc.). Berlusconi n’a aucun intérêt en soi, et on se moque totalement de sa psychologie, qui est hélas au coeur de ce long pensum vulgaire.
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Le film saisit le « Cavaliere » au moment où il va redevenir président du conseil (en corrompant six sénateurs, le film est très clair sur ce point-là) et où son épouse lui annonce qu’elle veut divorcer. Le type est misogyne, autocentré, imbuvable, et en un mot pathétique, comme une jeune femme invitée à l’une de ses soirées « Bunga Bunga » (filmées avec une grande complaisance) le lui dit texto. Et, à vrai dire, on ne voit pas ce qu’on pourrait vraiment ajouter à cela sinon, une fois de plus, comme Eco : pourquoi tout un peuple s’est-il groupé pour placer au sommet du pouvoir un homme pathétique ? Or le film de Sorrentino ne se pose pas la question, comme s’il n’y avait rien à penser.
Un film aussi bling bling que son modèle
Une incapacité à dire quoi que ce soit d’intéressant qui se retrouve dans « l’interprétation » de Toni Servillo, aussi expressive que celle d’une marionnette de Guignol : il arbore quasiment du début à la fin un sourire forcé, et seuls ses cheveux collés sur son crâne, son faux bronzage et ses dents blanchies peuvent faire croire un instant qu’il ressemble en quoi que ce soit au vrai Silvio Berlusconi. Le reste du temps, il parle, répond aux objections des autres personnages, qui lui racontent sa vie dans un but très évident : que le spectateur puisse s’en rappeler tous les détails, ou en découvrir certains qu’il ne connaissait pas. Le vrai interlocuteur du film n’étant pas Silvio (qui sait tout cela pertinemment, a priori), mais bel et bien le spectateur, qui n’a pas relu la fiche wikipedia de Berlusconi depuis longtemps. De temps en temps, des femmes dénudées et des courtisans cocaïnés viennent danser ou se vautrer dans sa piscine ou ses vastes canapés design. On se dit souvent que Sorrentino se prend pour Fellini dans Satyricon, sauf qu’il n’a pas la grâce poétique de ce dernier. Il est aussi bling bling que son modèle.
Silvio et les autres ne parle de rien
Le vrai problème du film est donc qu’il se concentre sur un homme et ses petits moments de doute (le pauvre, il vieillit…) au lieu de parler politique, du tort que l’homme le plus riche d’Italie a fait à son pays en croyant le sauver. L’on pourrait aisément se dire que les populistes néo-fascistes sont arrivés au pouvoir sur les cendres d’une république italienne ayant perdu toute pensée politique où les nombreuses chaînes de télévision de Berlusconi ont abêti une nation pendant des décennies avec des programmes d’une grande médiocrité. Et même si l’explication est insuffisante, on pourrait au moins y réfléchir, non ? Et bien non.
Silvio et les autres ne parle de rien. On y voit un homme de pouvoir passer d’une villa avec piscine à une autre et ne rien faire, en dehors de parler, chanter, mater des poitrines de femmes… Et la mise en scène de Sorrentino, comme toujours, avec son esthétique publicitaire auto-satisfaite poussée à l’extrême, ne dit rien d’autre que le vide abyssal de son cinéma.
Silvio et les autres de Paolo Sorrentino (It./Fr., 2018, 2h31)
Avec Toni Servillo, Elena Sofia Ricci, Riccardo Scamarcio