La romancière anglo-nigériane Diana Evans met en scène des couples de la classe moyenne au bord de la rupture. “Ordinary People” ou la quête d’identité d’enfants d’immigrés dans le Londres d’aujourd’hui.
Ne rien faire comme tout le monde. Voilà le mot d’ordre de Diana Evans. Surprendre son lecteur et déjouer les clichés qui peuvent entourer la production littéraire d’une femme noire. Ainsi avec son nouveau roman. Elle aime confier en souriant que la scène d’ouverture, description d’une méga-soirée branchée organisée pour célébrer l’élection d’Obama, lui a été inspirée par la lecture de Tolstoï – « Vous savez, les fêtes napoléoniennes dans Guerre et Paix.«
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Cette Anglaise née en 1971 de père britannique et de mère nigériane a réussi en quelques années à s’imposer sur la scène littéraire, mais semble se garder de tout emballement. On rencontre une femme très posée et réfléchie qui nous explique que l’écriture d’Ordinary People, son troisième roman – le premier, 26a, a reçu le prix Orange –, lui a pris sept ans. Et ce texte ambitieux lui permet d’incarner, avec une force discrète, une nouvelle voix possible dans la littérature d’outre-Manche.
Défricher des terrains peu explorés
Evans met en scène quatre personnages appartenant à la classe moyenne londonienne. Michael et Melissa, enfants d’immigrés nés en Angleterre, tout comme leur ami Damian, époux de Stephanie. A partir de leurs vies, de leurs angoisses et de leurs errements, Evans a construit un roman qui dit énormément de choses sur Londres, sur la vie de couple, sur la classe moyenne, sur le fait d’être noir en Europe. Et elle est parvenue à tout concentrer sur une année, entre l’élection d’Obama et la mort de Michael Jackson.
Ne pas faire comme tout le monde, c’est par exemple intégrer une dose de paranormal dans ce qui aurait pu être un roman ultra-réaliste. Car ici un fantôme rôde, et c’est au lecteur d’interpréter sa présence, entre folie hallucinatoire de Melissa, véritable spectre ou symbole d’un passé qui survit en nous. Il permet en tout cas à l’autrice de ne pas se laisser enfermer dans un genre littéraire. Evans semble aussi vouloir défricher des terrains peu explorés, comme le milieu social qu’elle décrit : ses personnages sont des Noirs qui ne sont ni migrants ni pauvres. Elle reconnaît : « Avant, les romanciers montraient l’installation des premières générations, leur adaptation difficile à une nouvelle culture. Mais ce qui se passe après, avec leurs enfants nés en Grande-Bretagne, citoyens britanniques qui participent à cette société au même titre que les Blancs, peu d’auteurs s’étaient attachés à en parler. »
Son livre se fait l’écho de leurs difficultés. Même s’ils sont surdiplômés et ont des jobs passionnants, ses personnages ont du mal à s’apaiser. « Il y a un héritage assez lourd à porter pour les gens de mon âge et de la deuxième génération. Nous devons transmettre la mémoire de ceux qui ont lutté dans les années 1960-70. La Grande-Bretagne à l’époque était un pays très raciste où les Noirs étaient discriminés. Désormais, il n’y a plus à se battre pour avoir accès à un logement ou un travail, mais le racisme peut se manifester de façon très subtile. On assiste à un renouveau des combats politiques de la classe noire, parce que le Brexit a réactivé l’extrême droite et le racisme. La nouvelle génération va devoir mener des combats que n’a pas menés ma génération. Ça restera sans doute une parenthèse. »
“Mon héritage culturel colore tout ce que j’écris”
Un roman politique donc, balzacien aussi par certains aspects. Evans décrit minutieusement la gentrification du sud de Londres, où elle vit, et consigne jusqu’aux marques de vêtements que portent ses personnages. Malgré les multiples sujets de société qu’il brasse, Ordinary People est aussi un récit psychologique subtil, où chaque personnage se dévoile très lentement, et l’autrice prévient : « Ce qui m’intéresse, c’est l’individu. Avant de commencer l’écriture d’un livre, je dresse une biographie de chacun des personnages, je sais ce qui leur est arrivé dans leur enfance, et parfois même j’écris des pages entières sur leur passé. Ensuite, dans la narration, j’intègre des petits moments de leur histoire, mais pas toutes ces scènes que j’ai imaginées. Elles sont là juste pour moi. »
Evans explore en particulier le mal-être de Melissa qui, après treize ans de mariage, ne trouve plus rien à dire à son mari. Mère de deux jeunes enfants, elle se sent prise au piège de sa maternité. « Mon propos est de montrer des gens en crise parce qu’ils luttent entre ce qu’ils pensent et ce que l’on attend d’eux, ce qu’ils sont censés devenir et ce qu’ils ont vraiment envie d’être. » Un sujet universel rendu plus acéré du fait même que Melissa est issue de l’immigration. « Mon héritage culturel colore tout ce que j’écris. Ma description de la maternité est forcément influencée par mes racines nigérianes, et la maternité au Nigeria est perçue comme quelque chose qui doit être totalement naturel. Il n’est pas normal de se demander si c’est ce que l’on veut faire dans la vie. Ce peut être perçu là-bas comme un luxe de femme occidentale. C’est pour cela que Melissa se sent isolée, elle ne peut pas aborder ces questions avec sa mère, qui ne la comprendrait pas. »
Ordinary People (Editions Globe), traduit de l’anglais par Karine Guerre, 384 p., 22 €
{"type":"Banniere-Basse"}