Sur le sixième album signé de son nom, le flamboyant Gallois puise ses inspirations dans un terreau métissé. Le résultat s’avère totalement réjouissant.
Que faire, pour le Super Furry Animal en chef, après un luxueux Babelsberg (2018), largement considéré comme son chef-d’œuvre en solitaire ? En contre-pied de l’orchestre symphonique aux accents soul, c’est un tropicalisme discrètement électronique qui donne à ce Pang! sa palette. Et Gruff Rhys y retrouve la plume galloise de son premier album solo, Yr Atal Genhedlaeth (2005), ou de Mwng (2000) des SFA, mais aussi de ses racines. Pour autant, Pang! exsude un métissage qui le décharge de toute lourdeur identitaire : si certains parlent anglais comme une vache espagnole, Gruff Rhys chante le welsh comme un Brésilien chante le portugais.
Un Super Furry Animal très world
Portugalles ? En tout cas, c’est Babel après Babelsberg : une vraie joie de la désorientation. Rétrospectivement, on retrouve les graines de ces inflexions solaires dans ses productions passées : Gruff Rhys avait cosigné le très foutraque The Terror of Cosmic Loneliness (2010) avec Tony da Gatorra, et annoncé à l’époque de Yr Atal… s’être nourri de l’influence de DJ Marlboro, chantre du funk carioca. Le pang (terme désignant une sensation fugace et douloureuse) est mâtiné de saudade. Mais aussi de légèreté, avec des cuivres qui renverraient presque à l’insouciance de certains hits sixties du Brill Building, comme sur le pourtant très contemporain Digidigol.
Pour habiller ces chansons avec la luminosité qu’elles appellent, Gruff Rhys a fait équipe avec le producteur Muzi, prolongeant leur collaboration pour le récent projet collectif Vessels. Les nuances sud-africaines qui en résultent teintent les morceaux de façon plus ou moins affirmée, comme cet Ara Deg en forme de tube world qui aurait l’élégance d’éviter (même de justesse) l’exotisme safe pour agence de voyage.
Un titre suivi par la sublime miniature Eli Haul, dont le dépouillement vient miraculeusement enrichir l’ensemble de ce disque aux reflets évoquant ici le travail de Chris Cohen sur la chanson folk, là des rêveries synthétiques hallucinées (Ôl Bys). C’est ainsi en renouant avec le particularisme local que Gruff Rhys réussit un album semblant émaner de nulle part et de partout à la fois. Au-delà du jeu de mots facile, on saluera l’irréductible Gallois : irréductible à son ambition comme à sa légèreté, porté par sa liberté et par une lumineuse exigence.
Pang! (Rough Trade Records/Wagram)