Alors que Paris 1 ouvre cette année son propre master en études de genre, les anti-genre se mobilisent pour lutter contre ce champ d’études pourtant de plus en plus reconnu.
Lundi 16 septembre, trente étudiants et étudiantes de Paris 1 commenceront les cours au sein du Master 1 d’Etudes de genre, pour une rentrée inédite. En effet, si des masters dédiés à ce champ disciplinaire existent déjà à Paris 8 (depuis 1974), Paris 7, l’EHESS, Bordeaux Montaigne, Lyon 2, Toulouse 2 ou Angers, c’est la première fois que la Sorbonne proposera une telle formation.
Dirigé par la philosophe et professeure Sandra Laugier et la maîtresse de conférences en Sciences économiques Elisabeth Cudeville, ce cursus qui mêlera arts, histoire, économie, philosophie et science politique est le fruit de plusieurs années de travail au sein de l’université : « Certains cours existaient déjà, il ne restait plus qu’à les réunir et à former la maquette. Nous avons pu ouvrir un cours spécifique pour les étudiants du master grâce au soutien des UFR [unités de formation et de recherche, ndlr] partenaires », explique Sandra Laugier.
Des résistances multiples
Bien que soutenue par la présidence de l’université, la création d’une formation dédiée a suscité « pas mal de résistances » au sein du corps professoral. Et ce, notamment du côté du Droit, où certains enseignants mais aussi la direction de l’UFR étaient réticents. « Nous avons les meilleurs spécialistes du genre dans de nombreuses disciplines, mais les structures académiques sont souvent aux mains d’hommes qui considèrent systématiquement que la question est moins importante que les gros champs disciplinaires traditionnels, sur lesquels ils ont la main. Ils ne veulent pas promouvoir un domaine qui mettrait les femmes en valeur », analyse la philosophe, qui constate que les UFR dirigées par des femmes ont été nettement plus coopérantes.
« De nos jours, personne ne veut dire qu’il est contre le genre parce que ça la fout mal, mais personne ne veut mettre ça en priorité. On a dû batailler pour obtenir des moyens, et on n’a pas eu un seul poste supplémentaire pour cette formation : les professeurs vont devoir travailler en plus », déplore encore Sandra Laugier, qui regrette certains conservatismes propres aux universités.
Mais c’est surtout sur Internet que l’annonce du nouveau master a fait le plus de remous, provoquant de nombreuses réactions négatives sur Twitter. Sans compter les condamnations de La Manif Pour Tous ou d’organisations étudiantes de droite tels que l’UNI – laquelle a qualifié le programme de « diplôme idéologique« et « d’endoctrinement » -, ou encore la Cocarde étudiante qui, dans un billet ironique sur son site, associe le master au drapeau LGBTI. Pire, les réseaux anti-genre auraient même provoqué une attaque contre le site de l’université en envoyant des milliers de demandes, selon la professeure.
J’veux pas niker l’ambiance mais un bac+5 manspreading spé thread sur twitter même pour McDo c’est un peu léger là on se dirige tout droit vers un pôle emploi bien mérité bravo à eux https://t.co/pVyYJmxMoT
— Le Raptor (@RaptorVsWild) April 10, 2019
La croisade anti-genre
Evoquant un « déferlement sectaire et haineux » mêlant misogynie, homophobie et transphobie, elle constate que les mouvements anti-genre semblent de plus en plus organisés, « soutenus au niveau global par un certain nombre de dirigeants particulièrement toxiques ». Un avis partagé par Eric Fassin, co-directeur du Département d’études de genre de Paris 8 : « Il y a des attaques contre les études de genre en Italie, en Hongrie, au Brésil… Dans beaucoup de pays, les gens ont l’impression que les choses ne sont pas acquises. »
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En France, le mouvement anti-genre trouve parfois le soutien de politiques tels que Valérie Pécresse qui, en 2016, a choisi de ne plus faire financer par la région Île-de-France les doctorats d’études de genre. Celles-ci continuent également de générer mépris, méfiance ou fantasmes chez une partie du milieu intellectuel français. Tissant un lien avec les études post-coloniales, Sandra Laugier estime que « dès que l’on s’intéresse à des différences, on est considérés comme essentialistes ou différentialistes ».
Ces champs d’études visant en partie à étudier et à comprendre les rapports de domination restent en effet souvent perçus comme militants, et donc remis en question. Et ce, malgré leur caractère scientifique. « Il y a des intersections fortes entre le monde de la recherche et le monde militant, mais ce qui caractérise les études de genre, par rapport à d’autres champs d’études, c’est que le caractère politique est explicité », relativise Eric Fassin, avant de conclure : « Quand on parle du monde social, il n’y a pas de point de vue neutre. Ce sont des représentations du monde et, à partir de ce moment-là, cela implique toujours certaines visions du monde. »
Hostilité croissante, reconnaissance croissante
Malgré les conservatismes de tout poil, les études de genre font progressivement leur chemin et gagnent en légitimité. « L’hostilité est plus grande, mais l’ouverture est plus grande aussi », résume Eric Fassin. Et bien que Paris 8 reste la seule université en France à délivrer officiellement un doctorat en études de genre, la création de l’Institut du Genre en 2012, sous l’impulsion de Sandra Laugier, a grandement contribué à leur développement.
Ce « groupement d’intérêt scientifique » rattaché au CNRS et dirigé aujourd’hui par la sociologue Sylvie Cromer, coordonne, finance et diffuse la recherche sur le genre. Il vient d’organiser le congrès international « genre et émancipation » qui a réuni début septembre des centaines de chercheurs à l’université d’Angers.« Aujourd’hui, en France, la reconnaissance des études sur le genre est là. On a toujours besoin de renforcer cette légitimité, mais elle est là », note la directrice de l’institut.
Principalement issues des sciences sociales, elles irriguent aujourd’hui bien d’autres disciplines telles que le droit, la psychologie, la littérature, la linguistique, la philosophie, les sciences de l’éducation ou la musicologie. Un engouement particulièrement partagé par les jeunes chercheurs et les étudiants, de plus en plus nombreux à s’inscrire dans ces cursus. « On a été écrasés par les demandes », confie Sandra Laugier en évoquant le nouveau master. L’équipe espère pouvoir accueillir une cinquantaine d’étudiants par an d’ici quelques années.