A l’occasion de la sortie du raté « Bohemian Rhapsody », sélection de sept biopics musicaux autrement plus intéressants.
Ce mercredi sortait en salle Bohemian Rhapsody, le biopic, aux allures de page Wikipédia illustrée, consacré à Freddie Mercury. Fruit d’une gestation chaotique, cette hagiographie sans saveur signée Bryan Singer – et largement pilotée par les membres restants du groupe -, manque cruellement de vertige, et se contente de retracer, avec paresse et opportunisme, les grands jalons de la carrière du leader de Queen. Si l’exercice du biopic musical s’avère souvent périlleux, quelques grands films ont su faire de la carrière d’un musicien ou d’un groupe mythique, un formidable matériau cinématographique. Illustration en sept biopics.
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En route pour la gloire de Hal Ashby (1976)
Film méconnu d’un cinéaste trop souvent oublié, En route pour la gloire retrace la vie de Woody Guthrie, chanteur et guitariste folk dans une Amérique rongée par la Grande Dépression. Sorte de héros steinbeckien, Guthrie fut le porte-voix des pauvres et des opprimés, des ouvriers et des minorités raciales, dans des terres sinistrées par la crise de 1929. Traçant la route en véritable hobo, il deviendra plus tard la figure, mythique et tutélaire, du renouveau folk des années 1960, né dans les sillage de la Beat Generation, et les volutes de Greenwich Village. Pur produit du Nouvel Hollywood, Hal Ashby s’attaque à son sujet avec déférence mais ne tombe jamais dans le lyrisme pamphlétaire. En prenant des libertés avec la vie de Guthrie, le cinéaste signe un métrage à la croisée des genres ; à la fois road-movie élégiaque, film social véhément et biopic fantasmé. C’est David Carradine, alors connu pour son rôle d’expert en arts martiaux dans la série Kung Fu, qui prête ses traits placides à Woody Guthrie, et signe une partition remarquable.
Bird de Clint Eastwood (1988)
Biopic consacré à Charlie Parker, Bird marque un tournant majeur dans la carrière de Clint Eastwood. En s’attaquant au genre, archi-classique outre-Atlantique, de la bio musicale filmée, Clint délaisse le temps d’un film le cinéma de genre et se consacre entièrement à la réalisation, ne figurant pas au casting pour la première fois de sa carrière. Une volonté d’entériner son statut de cinéaste « noble » qui pourrait induire un film balourd, pourtant Bird évite habilement l’académisme ronflant et offre une vision habitée de Charlie Parker. Sa structure éclatée n’a rien de cosmétique et confère au film une énergie sombre, comme si la vie du jazzman, consumée par les deux bouts, n’avait jamais eu d’autres résolutions possibles que celle, tragique, que l’on connaît. Bird révèle par ailleurs Forest Whitaker, alors inconnu du grand public, qui réussit l’exercice périlleux d’incarner « l’oiseau » le plus légendaire des Etats-Unis.
Walk the Line de James Mangold (2005)
Si Walk the Line succombe par moment aux sirènes du biopic facile, synthétisant la carrière de Johnny Cash avec des raccourcis parfois problématiques, le film n’en demeure pas moins une évocation puissante de la carrière de « l’homme en noir ». De son enfance rurale et désargentée, hantée par la mort de son frère aîné, à la gloire longtemps rêvée, mais entachée par une propension à l’autodestruction, en passant par sa rencontre avec June Carter, toute la vie de Cash y est scrupuleusement consignée. Si cette reconstitution, plus ou moins fidèle, des grands moments de sa carrière n’est jamais désagréable, c’est dans sa façon de traiter les à-côtés, les zones d’ombres et les recoins oubliés de la légende Cash que le film touche juste. L’interprétation renversante de Joaquin Phoenix, toute en outrance dévastatrice et en sensibilité larvée, y est pour beaucoup.
Control (2007) d’Anton Corbjin
“Control n’est ni un film rock, ni un film sur Joy Dvision”. C’est Anton Corbjin, célèbre photographe reconverti en réalisateur, qui le dit. Control n’est pas non plus un film retraçant la vie de Ian Curtis. Control est le portrait sensible d’un jeune homme bourré de talent mais affligé par une effroyable maladie, habité par son art et hanté par d’insondables démons. Il se trouve que ce jeune homme n’est autre que Ian Curtis, le leader de Joy Division. Dans un écrin noir et blanc impeccable, le film explore les recoins les plus cachés de la personnalité du chanteur, et en tire un portrait désarmant.
I’m not there de Todd Haynes (2007)
Comment saisir en un film la vie et la carrière polymorphes de Bob Dylan ? Tour à tour folkeux contestataire, rockstar rimbaldienne, cowboy solitaire et rockeur chrétien, le récent prix Nobel de littérature a constamment brouillé les pistes, et pris un malin plaisir à être là on où l’attendait le moins, et, plus encore, à n’être jamais là où on l’attendait vraiment. Dylanien pratiquant, Todd Haynes a su trouver la parade géniale en décomposant l’artiste en six personnages, interprétés par autant d’acteurs (dont un jeune garçon noir et une femme, la géniale Cate Blanchett). Un procédé diablement dylanesque duquel accouche une œuvre kaléidoscopique fascinante, compatible avec les dylaniens les plus zélotes, parvenant à capter plus qu’aucun biopic traditionnel, les mille vies condensées en une de l’un des plus grands artistes du XXème siècle.
The Runaways de Floria Sigismondi (2010)
Groupe mythique des années 1970 ayant connu une ascension fulgurante avant d’exploser en plein vol, The Runaways n’aura duré que quatre ans. Ces quatre années sont filmées par Floria Sigismondi à la manière d’une éruption volcanique. Dans un Los Angeles en plein mouvement féministe, à la croisée du punk et du glam rock, on suit l’itinéraire de ce groupe de filles en rébellion avec le monde, et principalement la relation électrique entre Joan Jett (Kristen Stewart) et Cherie Currie (Dakota Fanning). Habile radiographie des 70’s à Los Angeles, le film restitue à merveille l’énergie furieuse qui anima le groupe durant leur irrésistible ascension, et qui les amena, dans un déluge d’amour et de défonce, à se cramer les ailes.
Love & Mercy de Bill Pohlad (2015)
Génial biopic consacré à Brian Wilson, Love & Mercy revient sur l’itinéraire foudroyant du leader des Beach Boys en mêlant dans son récit deux périodes clés de sa vie : le milieu des années 1960 où il compose et arrange Pet Sounds – l’un des plus grands albums pop de tous les temps – et les années 1990, durant lesquelles il est sous l’emprise nocive d’un psychiatre abusif qui le bourre de médocs. A la fois méditation vertigineuse sur l’acte de création artistique (les scènes d’enregistrement de Good Vibrations, Pet Sounds et Smile y sont prodigieuses) et plongée émouvante dans le cerveau dérangé d’une icône brisée, Love & Mercy constitue peut-être ce qui se fait mieux en terme de biopics musicaux.
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