Depuis 2015, dans la capitale économique de la Côte d’Ivoire, Paule-Marie Assandre, danseuse et styliste, redonne confiance à des femmes mal dans leur peau à travers la danse et les cercles de parole.
Paule-Marie Assandre démarre son cours de body acceptance par un sermon : « Les femmes ! Ici, on vient chercher quelque chose qui n’est pas dans son téléphone. On doit être là les unes pour les autres. »
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Silence coupable dans la salle de Sol Beni, complexe sportif huppé du quartier chic de Cocody M’Pouto, à Abidjan (Côte d’Ivoire). Quelques participantes viennent à la rescousse de la prof qui jusqu’ici se démenait seule avec la sono. Carole, une participante, propose de former un cercle, « chacune se présente avec un pas de danse ». Quelques applaudissements détendent les plus réservées.
Une vingtaine de femmes entre 20 et 45 ans se sont inscrites au body acceptance. Un programme de trois mois, avec deux heures de sessions qui débordent allègrement chaque samedi, pour libérer le corps via la danse et la parole. Mince, grosse, grande brûlée ou complexée par un front bombé que les camarades surnommaient « devanture de gbaka (mini-car) »… Quelle que soit leur morphologie ou leur apparence, toutes les participantes ont déjà été jugées dans le passé.
“Aujourd’hui, je n’ai plus peur du regard des autres”
Marie-Louise, chargée de clientèle de 27 ans, raconte : « Je n’ai pas de gros seins ou de grosses fesses, je ne suis pas dans les normes de beauté africaine. J’avais besoin d’un endroit où on me dise : ‘Tu es belle comme tu es.’ Avec le body acceptance, j’ai vu que même des femmes avec des formes pouvaient être complexées ! Avant, je marchais la tête baissée, mais, aujourd’hui, je n’ai plus peur du regard des autres. »
Elles sont d’ailleurs plusieurs à se réinscrire d’une année sur l’autre. Le tarif, 30 euros pour le programme entier, est volontairement bas, « sinon elles ne viennent pas. En Afrique on met plus d’argent dans les cheveux ou le maquillage que le bien-être », regrette Paule-Marie Assandre. Cela dit, seules quelques étudiantes ou des CSP + peuvent se l’offrir : en Côte d’Ivoire, le SMIC n’est que de 90 euros.
Paule-Marie Assandre s’est mis en tête de redonner confiance aux femmes… à grand renfort de prêches : « Dans la vie, ceux qui réussissent sont ceux qui croient ! Ce rendez-vous, c’est un don de soi extrême. Ne nous limitons pas à ce que l’on fait devant nos copines qui nous jugent. » Elle se défend toutefois d’être un gourou : « Je ne fais pas tout bien, mais je le fais. Toute ma vie, j’ai rasé les murs, je me suis excusée d’être ‘too much’. Aujourd’hui, c’est l’inverse. »
A Abidjan, aller chez un.e psy n’est pas culturel
Danseuse et styliste, la Franco-Ivoirienne de 34 ans donne son premier cours de body acceptance en 2012 au Studio bleu, à Paris. Elle n’a pas de formation de prof ? Peu importe, elle y ajoute la danse. Une revanche pour celle qui, petite fille, rêvait de devenir danseuse étoile, mais dut y renoncer à cause de ses « rondeurs et un côté rebelle ».
En 2015, lorsqu’elle se réinstalle à Abidjan, le concept cartonne avec 60 à 80 demandes d’inscription pour 30 places maximum. « A Paris, il y a beaucoup d’offres, mais à Abidjan, il n’y a rien ! », constate-t-elle. En Côte d’Ivoire, où aller chez un.e psy n’est pas culturel, « les femmes ont besoin de cette thérapie de groupe ».
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Deuxième temps de la séance, le cercle de parole. Chacune pioche un mot – « savoir-faire », « sérénité », « courage » -, lequel est prétexte à se livrer sur ses réussites comme ses questionnements. Les autres rebondissent, conseillent. Paule-Marie Assandre reprend la main : « Les femmes, plus que les hommes, ont souvent le syndrome ‘Mère Teresa’. L’impression que si tu dis non, personne ne dira oui. Tu crois que ta vie, c’est de porter les autres. »
C’est au tour de Mariane. La chargée de communication de 31 ans tire le mot « alliance » et lance un appel à la sororité : « Faut qu’on se le dise, les femmes ne sont pas unies. Ce n’est pas en critiquant les grosses fesses de l’autre qu’on va réussir à diriger le monde. Sinon, on sera toujours cantonnées à la cuisine, aux enfants, à des postes destinés aux femmes. »
En Côte d’Ivoire, où l’infidélité masculine est fréquente, les femmes ont tendance à se considérer « rivales et non alliées, abonde Paule-Marie Assandre. Les hommes entre eux sont solidaires, et nous, on se compare. L’homme a beau avoir un gros ventre, lui, il ne se sent jamais menacé ! »
Cette mise à nu est importante pour Elom, conductrice de travaux de 27 ans. « Il peut m’arriver d’avoir des conversations comme ça avec mes amies les plus proches, mais c’est sûr que je n’exposerais jamais ma vulnérabilité sur les réseaux sociaux par exemple. »
« Comment avoir confiance en moi ? »
Le dimanche, elles se retrouvent au Bushman Café, restaurant et espace culturel branché, pour rencontrer des modèles de réussite en Côte d’Ivoire. Ce jour-là, Paule-Marie Assandre a invité deux mannequins, Yibaï Bapes et Awa Sanoko.
Elles sont là peut-être pour inspirer, au moins pour raconter comment elles ont surmonté leurs complexes. La première a souffert de grossophobie – « Tu finis par croire ce que les autres pensent de toi » -, la seconde de son teint foncé : « On me disait que j’étais bleue et que je ressemblais à un trans. Mais aujourd’hui je n’ai plus honte de mon teint. »
« Comment avoir confiance en moi ? Quel a été le déclic pour toi ? », demande une participante. « Il faut s’assumer, ne pas chercher à copier », lui conseille Yibaï Bapes. Après les échanges, au milieu de rires teintés de timidité, les mannequins apprennent aux participantes à défiler en vue du spectacle de fin de programme.
L’objectif du celui-ci : que les vingt participantes touchent à leur tour vingt autres femmes. « C’est un mouvement que je porte aujourd’hui mais qu’elles vont ensuite porter dans leur quotidien », espère Paule-Marie Assandre.
Et à plus long terme ? « Qu’elles deviennent des ambassadrices pour les prostituées, les femmes rejetées, qui n’ont pas eu le choix et à qui je veux donner une seconde chance. L’impact qu’elles peuvent avoir sur d’autres femmes sera énorme », prophétise-t-elle.
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