L’arrivée de Jair Bolsonaro au pouvoir est, aussi, le fait du groupe restreint d’hommes qui lui ont été fidèles envers et contre tout et qui partage sa détermination à appliquer au Brésil leur vision de ce que doit être le pays.
L’élection dimanche 28 octobre de Jair Bolsonaro à la présidence de la République du Brésil symbolise l’arrivée au pouvoir, dans un pays longtemps dirigé par le Parti des travailleurs (PT), de l’extrême droite, s’appuyant sur un discours sécuritaire, nationaliste, homophobe, misogyne et raciste. Cette élection marque aussi l’arrivée au pouvoir d’une poignée de politiques, militaires et économistes qui se sont marginalisés aux yeux des élites brésiliennes en soutenant Jair Bolsonaro. C’est pourtant à cette marginalisation qu’ils doivent de prendre en janvier 2019, le pouvoir. L’élection de Jair Bolsonaro est l’histoire de la réussite d’un clan, restreint, d’hommes, assez âgés, blancs, riches et, à une exception près, très conservateurs.
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Un groupe de fidèles
Dès le lendemain de son élection Jair Bolsonaro, 63 ans, et Gustavo Bebbiano, 54 ans, le chef du Parti social-libéral (sous l’étiquette duquel le premier a été élu) donnait de premières indications sur la composition du futur gouvernement. Il a ensuite déclaré que le ministère de l’environnement fusionnerait avec celui de l’agriculture, laissant les mains libres à l’« agrobusiness » ; qu’un super-ministère, regroupant plusieurs secrétariats d’État, mettra en œuvre une politique ultra-libérale dont l’objectif prioritaire sera de réduire la dette. Plusieurs noms, dont au moins ceux de « quatre ou cinq militaires », d’après Gustavo Bebbiano, circulent déjà.
Un général à la retraite devrait atterrir au sommet de l’État, occupant la place de vice-président : Hamilton Morao, 65 ans. C’est un indigène revendiqué qui a été propulsé au sommet de la hiérarchie militaire. Il s’est distingué par ses prises de position en faveur de l’intervention de l’armée dans le jeu politique brésilien. Il a fait part de sa volonté de jouer un rôle réel au sein de l’appareil de pouvoir. « Bolsonaro a rencontré beaucoup de difficultés à trouver un colistier. Son choix s’est d’abord porté sur Janaira Pascale, l’avocate à l’origine de la demande de destitution de Dilma Rousseff. Il avait ensuite désigné le prince de Bragance, héritier théorique de la couronne du Portugal et du Brésil. À la suite d’une mésentente avec lui, il a jeté son dévolu sur le général Mourao », membre du PRTB (le parti rénovateur travailliste brésilien), nous rappelle Gaspard Estrada directeur exécutif de l’Opalc (l’observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes). Au Brésil, le poste de vice-président n’offre pas un grand pouvoir, mais il a souvent servi de tremplin vers la présidence. Michel Temer, qui a succédé à Dilma Rousseff, en est le dernier exemple en date.
Des généraux à la retraite au pouvoir
Le président-élu et le chef du parti Gustavo Bebbiano sont liés par une « relation de confiance », analyse Gaspard Estrada et devrait gagner une place importante pour service rendu. Pour rappel, Jair Bolsonaro « a rencontré beaucoup de difficultés avant d’obtenir l’investiture d’un parti pour être candidat à la présidentielle ». Son précédent parti, le PP (le Parti patriote), d’une droite conservatrice plus classique, a montré des réticences à le soutenir. Après s’être déclaré candidat en 2016, il a rejoint, en 2018, le PSL. Gustavo Bebbiano a ainsi « été judicieusement placé à la présidence du parti pour répondre aux ambitions de Jair Bolsonaro de le contrôler ».
D’après le politologue, « il aura un rôle dans le cercle le plus proche du président du Brésil » sans pour savoir encore quel sera sa fonction. Ce qui est certain c’est qu’il ne pourra pas être à la fois à la tête du parti et membre du gouvernement. D’après Estrada, son « rôle est donc appelé à changer », mais pour l’heure « aucune figure ne se détache encore en interne » ; tout s’est fait trop vite pour qu’il ait eu le temps de se structurer estime ce spécialiste.
Pérenniser le bouleversement de l’élection
Trois autres personnages constituent le cercle rapproché autour de Jair Bolsonaro : Augusto Heleno Ribeiro Pereira, 70 ans, général à la retraite, ancien parachutiste et instructeur de Jair Bolsonaro durant ses études d’officier ; Onyx Lorenzoni, 74 ans, présent dans diverses assemblées représentatives depuis 1995 ; Paulo Guedes, économiste ayant fait sa thèse à l’université de Chicago, incarnant l’orientation économiquement libérale de la campagne.
Le premier, militaire de carrière, est un modèle pour le président-élu qui ne tarit pas d’éloges à son sujet. Jair Bolsonaro a déclaré qu’il aurait souhaité avoir à ses côtés comme vice-président cet ancien chef de la mission de l’ONU à Haïti, mais le parti dont il est membre, le PRP (parti républicain progressiste) s’y est opposé. Il s’est vu promettre le ministère de la Défense. Il est, nous explique la journaliste Maria Emilia Alencar, « l’homme de confiance », du président-élu. Depuis le début de la campagne, il est force de propositions sur les thématiques tournant autour de la défense et des affaires étrangères. Coordonnant un réseau de contributeurs civils et militaires sur Whatsapp, il a remis à ce sujet un rapport de 50 pages à Jair Bolsonaro.
Onyx Lorenzoni est parlementaire depuis plus de 20 ans, d’abord à l’Assemblée d’état de Rio Grande du Sud puis à la chambre nationale des députés. Il s’y est illustré lors des débats sur les lois anti-corruption par son discours virulent contre le PT. C’est au parlement que Lorenzoni et Bolsonaro ont fait connaissance. Le premier a été fidèle au second alors que « la classe politique brésilienne, notamment les milieux conservateurs, avait décidé de boycotter la candidature de Bolsonaro ; particulièrement en juin et juillet. Aujourd’hui, le président-élu récompense la fidélité assumée en publique lors d’une période difficile », analyse le politologue. Il devrait occuper le poste de ministre de la Maison Civile : non élu, sa fonction sera de coordonner les actions de la présidence. Détenant un certain pouvoir, selon ce que décide le président de la République, il a un droit de regard sur les autres ministères.
Ce que décide le président
Depuis quelques jours, Lorenzoni et Paulo Guedes débattent publiquement de l’orientation économique qu’il faut pour le pays. Le premier est le tenant d’une ligne conservatrice et protectionniste plus étatiste, le second d’une ligne ultra-libérale. Paulo Guedes, économiste ayant fait sa thèse à Chicago, berceau du néolibéralisme – ce qui lui vaut le surnom de « Chicago boy » – s’est rapproché de Bolsonaro il y a de ça un an. Pour Gaspard Estrada, il incarne la « crédibilité » de l’ancien candidat vis-à-vis des élites économiques brésiliennes. Dans l’entre-deux-tours, on a découvert qu’une enquête était en cours à son sujet. Aucun fait répréhensible par la loi ne lui est encore reproché, tandis que Bolsonaro et Beddiano lui ont maintenu leur confiance durant la campagne.
Enfin, la garde rapprochée de Jair Bolsonaro est constituée de ses trois fils. Le politologue évoque à leur sujet une « PME familiale ». Eduardo Bolsonaro, 34 ans, est avocat, ancien policier et député fédéral depuis 2004. En 2018, il a obtenu le meilleur score de l’histoire législative du Brésil avec 1,8 millions de voix. Flavio, le fils aîné de 37 ans, est avocat et entrepreneur. Élu à Rio de Janeiro depuis 2003, il est devenu sénateur en 2018 avec 31,36% des voix. Carlos enfin, est un ingénieur en science aéronautique. Il est élu au conseil municipal de Rio de Janeiro depuis 2001. Il était alors le plus jeune élu de l’histoire du pays. Selon Gaspard Estrada, « ils ont toujours joué un rôle important auprès de leur père […]. Ils peuvent être parlementaires tout en ayant accès directement à lui, devenu président de la République. Ils n’ont donc pas besoin de tenir un poste auprès de la présidence pour exercer leur influence ».
Un accès au président de la République
Tous les quatre « vivent de la politique depuis les années 1990. Il ont fait fortune avec un patrimoine immobilier inexpliqué, grâce à la politique. Aujourd’hui, ils arrivent aux commandes en ayant été incapable de justifier, dans la presse, l’origine de leurs fonds. Cette information n’a pas retenu l’attention des électeurs durant la campagne », constate Gaspard Estrada. Jair Bolsonaro continue ainsi de jouir d’une image d’homme intègre, alors qu’il a lui-même avoué, aux médias brésiliens, avoir reçu des pots-de-vin.
Les noms d’autres personnalités circulent pour les différents postes. Marcos Pontes, un ancien pilote de chasse et astronaute, sera Ministre des sciences et des technologies. Sergio Moro, le juge ayant fait tomber Lula, l’ancien président candidat pour le PT, s’est vu proposer la justice. Il n’a pas encore confirmé officiellement, mais cela questionnerait poserait la question de la « politisation de la justice », explique Gaspard Estraga.
La déclaration faite par le président-élu le soir de son élection inquiète le politologue :
« Soyez-en témoins, ce gouvernement sera le défenseur de la constitution, de la démocratie et de la liberté. Ce n’est pas la promesse d’un parti ou d’un homme, mais un serment fait à Dieu. La vérité va libérer ce pays et la liberté va nous transformer en une grande nation. La vérité qui nous a conduit jusqu’ici, continuera à illuminer notre chemin. »
Gaspard Estraga l’analyse en ces termes : « Il déclare préserver la constitution et s’attacher à la Bible. C’est en cela que sa déclaration est inquiétante et préoccupante. Aux yeux de Bolsonaro, la Bible et la constitution ont le même statut. La vérité de la Bible est une et indivisible. Tout ce qui ne fait pas partie de son lexique religieux n’entre pas dans sa vérité. Son discours est de ce point de vue dangereux. » Pour réaliser ses grands projets, Jair Bolsonaro a autour de lui une équipe d’hommes déterminés et fidèles.
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