Une comédie policière haut de gamme où les héros se coursent dans un ballet burlesque, en quête du droit d’être et de paraître. Explosif.
La sophistication notoire de Pierre Salvadori, auteur de comédies d’orfèvre (Les Apprentis, …comme elle respire, et d’autres), longuement maturées, réglées au cordeau, ne s’est jamais vraiment accordée aux lois du bon goût. La virtuosité de ses films est rythmique, narrative, pas tellement stylistique. De cette décontraction esthétique, on n’avait rarement autant pris la mesure que devant ce nouvel opus où l’auteur, après une décennie consacrée à une espèce de repli intimiste (avec Dans la cour pour point d’orgue), explose soudain en se frottant à un registre très surprenant, et en s’y épanouissant immédiatement : le cartoon.
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En liberté ! porte bien son point d’exclamation : c’est une interjection, un coup de tremplin – et des retrouvailles vivifiantes avec les grandes obsessions de l’auteur. Le décor est celui de la comédie policière. Au hasard d’une descente dans un club BDSM, Yvonne (Adèle Haenel) découvre que son défunt mari et collègue, flic dont elle entretient la légende chaque soir en contant ses exploits passés à leur fils ébahi, était en fait un ripou de la pire espèce.
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La voilà face à un sacré numéro d’équilibriste : il va s’agir de rétablir la vérité et l’ordre moral, mais juste assez pour retrouver le sommeil sans perdre le confort, avec la complicité involontairement consentie d’Antoine (Pio Marmaï), l’innocent emprisonné à tort dont le malheur fut, pendant toutes ces années, le prix de son bonheur à elle – le tout en gérant qui son soupirant (Louis/Damien Bonnard, le collègue débonnaire et amoureux d’Yvonne), qui sa compagne éplorée (Agnès/Audrey Tautou, qui ne reconnaît plus son homme transformé par la prison en brute compulsive).
Si ce n’est pas clair, résumons ainsi : Yvonne et Antoine se courent après, Louis court après Yvonne, Agnès court après Antoine, et si l’image vous venait d’un couloir de Tex Avery où des personnages empressés apparaîtraient les uns à la poursuite des autres, dans un ordre changeant au rythme des claquements de portes, vous auriez une bonne idée du film (remplacez le couloir par un Marseille de carte postale). En liberté ! ne cache pas les racines de son burlesque slapstick, dont quelques fossiles préhistoriques apparaissent même par endroits – Adèle Haenel passant, en pleine filature, entre les marionnettes d’un spectacle de Guignol – avec toujours l’enfance comme fond défilant – jouets, costumes de carnavalet parcs d’attractions.
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Il le conjugue à une généreuse dose d’action. La plus grande surprise du film, c’est sa violence : le tableau fait l’effet d’une éruption volcanique, d’une explosion en chaîne dont l’étincelle est bien sûr Pio Marmaï, bâton de dynamite sur pattes, évoluant entre le doux dingue et le chien enragé. A le voir arpenter les rues, mettre malgré lui la ville à feu et à sang, on se prend à voir dans ce défouloir humain la manifestation d’une secrète violence refoulée. Comme si Salvadori, amateur de personnages qui n’osent pas, qui se retiennent maladroitement, et lui-même de tempérament plutôt timide et observateur, avait libéré dans son œuvre une bombe de fureur. Réplique synthétisant parfaitement le personnage et qui suffirait à en faire un des plus beaux héros salvadoriens : “J’en ai marre d’être innocent.”
Ce sera donc un héros à la conquête de sa culpabilité, et de sa liberté : celle du titre, qui s’avère une matière complexe, explosive, très instable. Car dans En liberté !, les captivités physiques (la prison) ou mentales (les secrets) ont une fâcheuse tendance à délivrer d’eux-mêmes les personnages : l’éclatement permanent du vrai et du faux (“Je m’appelle Yvonne : c’est la seule chose vraie que je t’aie dite sur moi et tu ne l’as pas crue”) crée un monde à tiroirs, où l’on ne sait plus jamais qui met les menottes à qui. C’est le casse-tête de fausses culpabilités transformées en vraies, de mensonges qui s’amoncellent jusqu’à s’annuler, de déguisements enfilés les uns à même les autres, qui creuse des tourbillons et des vertiges dans la marmite comique du film. On n’y est libre, au fond, que d’une chose : d’être et de prétendre être qui l’on souhaite. Quoi de plus grisant ?
En Liberté ! De Pierre Salavadori (Fr., 2018, 1 h 48)
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