Un couple en crise s’enlise dans un road-trip oppressant. Si la performance de l’actrice Jessie Buckley reste mémorable, le film parvient difficilement au bout de son intrigue cérébrale.
Rencontrer les parents de son conjoint pour la première fois n’est généralement pas une expérience que l’on attend avec impatience – voire un moment que l’on retarde volontiers – mais penser à rompre dans la voiture qui nous y emmène paraît, en revanche, de très mauvais augure. Voilà pourtant ce qui taraude Lucy (l’excellente Jessie Buckley) dans Je veux juste en finir alors qu’elle prend la route avec son petit ami Jake (Jesse Plemons) pour rejoindre la ferme familiale, aux allures d’Overlook Hotel, et alors qu’une tempête de neige s’annonce..
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Un nouveau conte cruel ?
Charlie Kauffman choisit d’adapter le roman horrifique d’Iain Reid et semble à première vue nous embarquer dans un voyage au bout d’une nuit inquiétante, s’inscrivant par là dans la lignée des Get out, Midsommar, Hérédité et autres contes cruels de la jeunesse actuelle. Il ne résiste d’ailleurs pas au plaisir de s’amuser avec la trouille de son spectateur – comme Shyamalan dans The Visit – à grands coups de balançoire abandonnée, de sous-sol terrifiant et d’essuie-glaces qui s’affolent, suite de potentiels jump scare qui n’adviennent jamais.
Mais supposer qu’il se contenterait de jongler avec les clichés et poncifs du genre, serait mal connaître le scénariste d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind, dont les questions métaphysiques débordaient déjà de ses autres longs-métrages Synecdoche, New York et Anomalisa. C’est d’abord par la pensée de sa protagoniste, flux de conscience constant qui nous arrive en voix off, que l’on retrouve avec joie le style particulier de l’auteur : une exploration des méandres de la psyché de ses personnages, soutenue par un high concept existentiel.
Le mariage du spleen et de l’angoisse
Grâce aux images soignées de Lukasz Zal (chef opérateur de Cold War) et à des effets de mise en scène astucieux, Kauffman réussit brillamment à doubler l’angoisse d’une mélancolie ambiante. À l’image du poème déclamé par Lucy dans la voiture (tiré en réalité de « Rotten Perfect Mouth » de Eva H.D), qui nous est délivré dans un regard caméra saisissant et où infuse le thriller d’un spleen patent.
Le réalisateur décline les objets de notre peur : chaque angoisse intime des personnages se matérialise sous nos yeux, sans que les menaces réelles – le meurtre, la séquestration ou le viol – ne mettent en péril la fiction. Les parents de Jake (Toni Collette et David Thewlis), qui rajeunissent et vieillissent à chaque nouvelle apparition, traduisent la névrose principale de leur fils, autrement dit sa peur extrême de vieillir.
Un personnage féminin remarquable
C’est à travers le personnage de Lucy que le réalisateur retient le mieux notre intérêt. En proie à une crise identitaire profonde, la jeune femme ne cesse de changer de prénom comme de métiers : poétesse, peintre, physicienne puis critique de cinéma. Elle semble combattre l’image à laquelle Jack veut l’assigner. Se refusant à être une autre Femme sous influence, elle reprend les propos virulents de la critique Pauline Kael à l’encontre du film de Cassavetes. On est agréablement surpris par la profondeur psychologique qui lui est conférée, aux contours ouvertement féministes. Lucy s’impose et garde, malgré une individualité trouble, une grande cohérence grâce à la palette d’émotions que lui offre Jessie Buckley. Elle permet au film de sortir de l’ornière du simple monologue schizophrénique.
Le name dropping impressionnant dans les débats entre les deux tourtereaux torturés – qui invoquent aussi bien Freud et Guy Debord que David Foster Wallace – en larguera certainement plus d’un, mais traduit assez bien l’inquiétude profonde de Kauffman face à ses films : quelle pensée est véritablement authentique ? Comment investir par la fiction des questions existentielles inlassablement mâchées et recrachées par les artistes depuis des millénaires ?
Un final manqué
Kauffman a le don d’utiliser certains procédés cinématographiques à bon escient – à l’image de la voix off, des décadrages constants et d’inserts déroutants à la Lynch – mais finit malheureusement par nous perdre lorsqu’il joue avec les genres eux-mêmes. Epiphanie ratée, le mix des genres apparaît comme une solution maladroite pour évincer la trame temporelle complexe mise en place tout au long du film (qui mérite un second visionnage pour être vraiment compris). Alors que son final se range du côté des névroses du personnage masculin et délaisse de manière regrettable Lucy, le réalisateur a recours à la comédie musicale, à l’animation comme au théâtre, et à l’instar du personnage de Jack, il s’engouffre plus profondément dans ses délires fantaisistes et dans la surenchère.
Je veux juste en finir de Charlie Kaufman avec Jessie Buckley, Jesse Plemons, Toni Collette et David Thewlis (U.-S., 2020, 2h14)
{"type":"Banniere-Basse"}