Cette minisérie Unbelievable, réalisée notamment par Lisa Cholodenko, explore avec rigueur la manière dont vérité et mensonge sont traités dans les affaires de viol.
“C’est quelque chose qu’elles gardent en elles toute leur vie, comme une balle dans la colonne vertébrale.” Dans une station de police du Colorado, une policière secoue son équipe qui ne prend pas la mesure d’une affaire de viols. Ce qu’elle exprime ressemble moins à un aveu d’impuissance qu’à une colère froide, qui exige de décrypter la réalité, de changer de focale, d’écouter et de regarder autrement. C’est le fond d’Unbelievable, la minisérie la plus forte sur les crimes sexuels commis contre des femmes qui nous ait été donné de voir.
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Doute et culpabilité
L’intelligence de ces huit épisodes tient à l’ampleur de ce qu’ils saisissent patiemment. Tout débute par le point de vue d’une jeune femme qui appelle la police. Elle a été surprise dans son sommeil par un agresseur masqué, puis attachée et violée. Cela ne fait aucun doute, sauf qu’à mesure que les jours passent – et avec eux, les interrogatoires de la police –, cette jeune vingtenaire qui a enchaîné toute sa vie les familles d’accueil commence à douter de sa propre parole. Certains de ses proches ainsi que les inspecteurs, plutôt que de la croire, appuient sur ses doutes, au point qu’elle finit par se rétracter et sombrer dans la culpabilité : elle n’aurait pas été violée.
Après un premier épisode centré sur ce cas (et réalisé comme les deux suivants par Lisa Cholodenko, déjà auteure de Tout va bien ! – The Kids Are All Right), Unbelievable introduit une puis deux enquêtrices situées à des milliers de kilomètres. Des viols commis selon le même procédé ont eu lieu. Seul.e.s les spectateurs et spectatrices le savent. Nous voici devant une toile qui a pour fond la souffrance des victimes et l’incroyable cheminement de la vérité à travers les broussailles du témoignage, de la preuve et des a priori.
Par certains aspects, cette minisérie créée par Susannah Grant (scénariste d’Erin Brockovich et du sous-estimé In Her Shoes), tirée d’une affaire réelle datant d’une dizaine d’années, s’affiche comme un exposé didactique sur le parcours psychologique, policier, social et judiciaire entourant une affaire de crime sexuel, mais aussi sur le profil des violeurs. Cela peut parfois aller contre la fluidité. Il arrive que l’on sente des scènes au bord du précipice explicatif, mais la critique devient rapidement dérisoire : ce que nous voyons, nous le voyons pour la première fois avec autant de détails palpables, du kit de viol aux questions inquisitrices posées à la victime, des dégâts psychologiques liés à la mémoire traumatique jusqu’à la structure complexe du système judiciaire dans de tels cas. La fiction se glisse dans les interstices de ces passages obligés, et c’est finalement à ce prix qu’Unbelievable devient saisissante.
Souffle contre souffle
Après un quart de la saison, l’accent est mis sur les deux policières, jouées par les géniales Merritt Wever (Nurse Jackie) et Toni Collette – on pense alors parfois à la deuxième saison de Top of the Lake. L’alliance entre ces deux forces de la nature n’a rien d’évident. C’est émouvant. La sororité nécessaire pour affronter un violeur brutal et un système parfois peu adapté se construit sous nos yeux, souffle contre souffle. Grace et Karen s’entraident sans sourciller mais ne font pas semblant d’être amies. Elles font autre chose : elles s’écoutent.
Dans leurs pas, nous réapprenons à écouter. Cette idée finit par infuser toute la série, qui devient une réflexion puissante sur la parole des femmes, sa valeur, sa fragilité. La vérité d’un récit est constamment interrogée. Susannah Grant passe beaucoup de temps à faire raconter les viols, parfois plusieurs fois, jusqu’à ce que le silence fatal (celui de la violence subie) soit remplacé par une histoire audible. L’évidence, c’est que si la parole ne circule pas – y compris entre les services de police – les victimes perdent la partie. La solution vient de ce que la parole s’échange finalement, jusqu’au moment où, littéralement, ces femmes la reprennent.
La post-adolescente du début n’est pas oubliée. Elle reste présente jusqu’aux dernières scènes et rattrape elle aussi le fil de son récit. A travers elle, Unbelievable montre comment une parole se rapièce, et, au bout d’une (en) quête intime et collective, se reconstruit et jaillit, pour réparer ce qui peut l’être.
Unbelievable sur Netflix à partir du 13 septembre
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