A l’occasion de la sortie ce vendredi du blockbuster vidéoludique « Red Dead Redemption 2 », retour sur le lien entre Rockstar Games et le cinéma. Symbolisée par la franchise GTA, cette relation s’est faite à coups de références avec les films et les genres, jusqu’à ce que le gameplay devienne lui-même un instrument de mise en scène. Chronique d’une influence, et d’une ressemblance.
Rockstar Games est au jeu vidéo ce que le blockbuster est au cinéma : une grosse machine aux moyens illimités traduite par une science de l’entertainment capable de rassembler des foules de consommateurs. Avec Read Dead Redemption 2 sorti ce vendredi 26 octobre, tous les fans du premier opus sorti en 2010 et de la société derrière GTA ne vont pas lâcher leur manette afin de mieux tâter les nouvelles fonctionnalités et admirer les immenses décors du Far West, entre autres. Un peu à l’image de ces fans de Marvel attendant chaque nouvelle sortie dérivée de cet univers comics.
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Outre cette faculté de susciter l’attente et de rassembler des moyens considérables, les jeux vidéos Rockstar et le cinéma entretiennent une correspondance par une appropriation du premier des codes du second, tel un véritable jeu de références (et de ressemblances).
Depuis sa création, Rockstar Games n’a cessé de s’inspirer du cinéma, à la fois dans la conception de ses personnages et des histoires, jusqu’à altérer le gameplay et la réalisation des cinématiques qui font l’objet de véritables mises en scène. Voici une chronique du rapport très intime entre les superproductions vidéoludiques de Rockstar et le septième art.
Le phare « GTA »
Le lien le plus emblématique entre Rockstar Games et le cinéma se constate le plus souvent dans la saga Grant Theft Auto. Dans le deuxième GTA, sorti en 1999 : intitulé GTA 2, le film, une vidéo de promotion tournée en prise de vue réelle met en scène le personnage principal, Claude Speed. A ce jour, GTA 2, le film est le seul véritable film tourné pour un jeu vidéo Rockstar (aussi parce que les graphismes, de plus en plus perfectionnés, se suffisent à eux-mêmes).
Claude Speed revient dans GTA III mais avec une particularité : il est muet du début à la fin. Cela pourrait nous faire penser au justicier silencieux et violent de Drive (sorti onze ans plus tard) mais aussi et surtout à Michael Corleone du Parrain, d’abord dans une forme de retenue dans l’attitude et la parole, et ensuite empêtré dans la guerre des mafias, élaborant des plans plus sanglants les uns que les autres en guise d’héritage de son paternel malade et qu’il est prêt à remplacer.
Raison de plus pour penser au Parrain de Coppola : GTA III propose une immersion dans la mafia de Liberty City (alter-ego de New York), du même type que celle des Affranchis ou des Soprano. Autre particularité, son générique, construit comme celui d’un film, ce qui deviendra l’une des marques de fabrique de la franchise.
Les alter ego
Tommy Vercetti de Vice City, dérivée de GTA, cause plus et représente l’alter ego parfait de Tony Montana de Scarface : chemise hawaïenne, montée en grade dans le monde de la criminalité, propriétaire d’une villa de rêve, volonté d’étendre son empire et, enfin et surtout, une mission culte calquée sur la scène décisive de Scarface au cours de laquelle Tony Montana est assiégé par les hommes de son ennemi juré Alejandro Sosa, obligé donc de les tuer un par un avec un fusil M16 (« Say hello to my little friend »).
Autres références : un studio de cinéma que l’on peut acheter, un braquage de banque à la Heat de Michael Mann et enfin Ken Rosenberg, l’avocat de Vercetti dans le jeu, qui est calqué sur David Kleinfeld, l’avocat véreux d’Al Pacino, incarné par Sean Penn, dans L’Impasse.
GTA : San Andreas, l’épisode plus fou et le plus riche de la saga, est celui où l’influence du cinéma se fait le moins ressentir. Comme toile de fond de la quête de rédemption de Carl Johnson (alias CJ) où l’on peut distinguer l’influence de la blaxploitation et de Spike Lee, Do the Right Thing en tête.
Référence plus claire cette fois : la mission Just Business propose la même action (dans sa seconde partie dans les fameux égouts de Los Santos) que le film de William Friedkin Police Fédérale Los Angeles et sa célèbre course-poursuite. Par ailleurs, la grande affluence de la population noire dans les quartiers défavorisés de Los Santos, où règnent drogue, violence et bande-son gangsta rap, fait référence au film Menace II Society des frères Hugues.
Une étendue de références infinie
Par la suite, GTA IV et GTA V imposeront d’autres références. Le premier enchaîne les hommages, parmi lesquels deux missions nommées Dial B for Bomb et Dressed to Kill en référence respective à Dial M for Murder d’Alfred Hitchcock et le film Pulsions de Brian de Palma, puis une émission de télé nommée I Need your clothes, your boots and your motorcycle, comme la réplique du Terminator…
Le scénario du dernier volet en date est un hommage au personnage de Robert de Niro dans Heat, ex-braqueur professionnel désormais à la retraite (mais qui va reprendre le métier, vous avez deviné). On y remarque également une vaste critique de l’industrie du cinéma hollywoodien avec un studio de cinéma corrompu. Et le jeu offre tellement de possibilité qu’un internaute s’est amusé à recréer lui-même des scènes de films.
L’étendue de références qui traverse la saga GTA est un magnifique indice du rapport entre Rockstar et le cinéma. Si certains personnages, films et même des situations précises sont retranscrites dans les jeux, l’autre lubie de Rockstar est sa faculté à retranscrire les codes d’un genre précis (le film de mafieux étant le plus représenté).
Toujours dans GTA, les mises à jour en ligne aiment faire honneur à certains genres comme le cinéma d’horreur, lors de la mise à jour Halloween ou l’ajout d’une simple chasse aux zombies, et les films de bagnoles à la Fast & Furious avec de nouveaux bolides et de nouvelles courses de rue.
Le recyclage des codes du western
D’autres jeux ont une proximité certaine avec un genre en particulier. L’autre évidence reste Red Dead Redemption qui réutilise les codes du western : balades à cheval, fusillades au galop, bombes artisanales, décors arides, face-à-face, conquête de l’Ouest, ruée vers l’or…
Si cette franchise offre un lot de références moins conséquent, elle offre l’opportunité de vivre de l’intérieur une histoire entièrement concentrée sur les mythes emblématiques du western crépusculaire. Read Dead Redemption 2 parle en effet de la fin de l’époque des hors-la-loi, à l’aube du monde moderne symbolisé par l’arrivée du chemin de fer.
Enfin, Rockstar a adapté les codes du film d’action (Max Payne, qui a fait l’objet d’une adaptation cinématographique), universitaire (Bully), de caisses (Midnight Club) et surtout pour nous du film noir et policier avec L.A Noire. Certainement le plus cinématographique de tous les jeux Rockstar.
La reconstitution ici des années 40 et la traque d’un tueur en séries fait penser à des polars comme Zodiac, Chinatown ou Serpico et aux grands films noirs (Le Faucon Maltais, Assurance sur la mort et La Soif du mal). La série Mindhunter de Netflix, avec notamment l’étude de comportement présente dans le jeu, en est l’écho le plus récent.
« Se faire des films » avec Rockstar Games
La proximité entre jeu vidéo et cinéma, encore sensible mais sujette à des réflexions intéressantes à l’heure de la réalité virtuelle et des mondes ouverts, est rarement aussi établie que dans les jeux Rockstar. Dans GTA V, le mode « Rockstar Editor » permet tout simplement de capturer chaque action du jeu (une voiture qui roule, une fusillade… vraiment n’importe quoi) grâce à une vision en 360 degrés.
Ainsi, vous pouvez enregistrer telle ou telle action comme vous le désirez, comme si vous étiez armé d’une caméra et d’une multitude d’objectifs pour produire le plan parfait, qu’il soit fixe, en mouvement, court, long… Au-delà de capter ce que vous voulez comment vous voulez, le Rockstar Editor fonctionne comme un logiciel de montage qui vous permet d’assembler vos plans et créer un véritable film.
Et puis enfin, il y a toute une science du comportement qui, sans même la capturer, donne cette même sensation de mise en scène. Dans le nouveau Red Dead Redemption, vous pouvez choisir de tabasser ou non un ennemi, faire la chasse ou décider de militer pour la protection animale, provoquer un partenaire…
Une véritable mise en scène du personnage par le choix du joueur qui altère le monde autour de vous, car il réagira en fonction. Une caractéristique propre au jeu à monde ouvert que l’on peut traduire par la possibilité de multiplier les mises en scène, l’exemple le plus drôle étant de s’arrêter à un feu rouge dans GTA pour se donner bonne conscience. Il y a donc une imbrication entre le fait de jouer au contenu proposé et créer dans ce même contenu qui indique bien combien Rockstar conçoit le prisme du jeu vidéo comme une faculté offerte au joueur de se mettre en scène.
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