Tête-à-tête à la fois comique et crépusculaire entre un président et une idole. Un beau film d’acteurs.
L’image la plus demandée du fonds d’archives nationales du gouvernement américain est une photo immortalisant la rencontre en décembre 1970, dans le Bureau ovale, entre Elvis et Nixon. Culte mais peu documentée – et, à la vérité, assez peu connue au-delà des cercles de demandeurs de photos d’archives de la Maison Blanche –, cette courte entrevue derrière portes closes (destinée à troquer un peu de popularité contre un absurde badge de policier undercover) est une machine à fantasmes suffisamment puissante pour alimenter un long métrage, malgré son pitch de court. Tâche dont s’acquitte avec brio Liza Johnson, cinéaste indépendante auteur de deux films inédits en France (Return en 2011, Hateship, Loveship en 2013). Car, au-delà de cette espèce de match de boxe (parfaitement mis en scène et très drôle), c’est toute une époque qu’ambitionne de raconter Elvis & Nixon, et plus spécifiquement la façon dont les idoles résonnent avec leur époque – et, fatalement, avec la nôtre.
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En 1970, le King n’est pas encore la baleine bouffie et échouée définitivement sur les scènes de Vegas, mais il n’est plus non plus le chanteur fringant qui révolutionna la musique populaire dix-sept ans auparavant. Il est en fait exactement entre les deux, en pleine transition, entre son come-back réussi de 1968 (Suspicious Mind lui vaut son dernier numéro 1 des singles) et sa transformation terminale en bête de foire ringardisée par une nouvelle génération de rockeurs anglais qu’il méprise : les Beatles, les Stones… Il reste le Roi, devant qui tout le monde s’arrête interloqué, et qui loue pas moins d’un étage dans les hôtels où il s’arrête, mais les Princes se sont déjà partagé l’héritage. Et il en est parfaitement conscient.
Cette lucidité donne au film sa thématique profonde, et sa scène la plus émouvante. Devant son miroir, Elvis s’accoutre et confie à son meilleur ami Jerry Schilling (très juste Alex Pettyfer) qu’il ne se sent ainsi plus lui-même mais un simple pantin, personne disparue sous la persona. Une seconde scène, davantage grinçante, face à un sosie plus vrai que le vrai, enfoncera le clou et montrera, surtout, en quoi l’interprétation de Michael Shannon est brillante : l’acteur ne cherche pas à ressembler trait pour trait au King, il ne l’imite pas, ne le singe pas – il l’est. Shannon trouve ainsi la distance idéale entre le personnage et lui-même et délivre une leçon d’acting.
Kevin Spacey, à l’inverse, se livre à une imitation en bonne et due forme du plus retors des présidents américains modernes. Mais alors que cela aurait été gênant avec à peu près n’importe quel autre acteur, Spacey bénéficie d’un atout salvateur : étant désormais attaché à l’image du plus retors des présidents de la télévision américaine moderne (dans House of Cards), il peut se permettre le cabotinage. Frank Underwood vaut comme court-circuit, comme une faille spatio-fictionnelle qui ramène ce Nixon de gala à nous et fait de lui un grand personnage comique. A la fois une méditation sur le crépuscule d’une idole et une farce sur le pouvoir, Elvis & Nixon est sans nul doute la meilleure comédie que vous pourrez voir cet été.
Elvis & Nixon de Liza Johnson (E.-U., 2016, 1 h 26)
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