Loin des clichés, cette superbe compilation invite à découvrir une face méconnue de la musique antillaise, entre mélancolie et révolte.
Explorant avec passion le champ de la musique française, avec une prédilection affirmée pour les marges, Born Bad ne limite pas ses investigations au territoire métropolitain. Ainsi lui doit-on diverses rééditions du grand Francis Bebey et, plus récemment, la compilation Disque La Rayé dédiée au boogaloo, style de musique (et de danse) très populaire aux Antilles françaises dans les années 1960.
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Redécouverte de la musique antillaise
Le label parisien poursuit et approfondit son travail d’exhumation de la musique antillaise des années 1960 en publiant cet automne une nouvelle compilation, Antilles Méchant Bateau. Comme pour Disque La Rayé, Jean-Baptiste Guillot, taulier de Born Bad et digger invétéré, a puisé dans les catalogues des trois principaux labels locaux – Debs International et Aux Ondes en Guadeloupe, Hit Parade en Martinique – afin de composer cette compilation, le matériau provenant ici avant tout des deux labels guadeloupéens. “J’ai effectué une sélection subjective, en essayant de trouver un bon équilibre entre les différents styles présentés et de montrer un aspect méconnu de la musique antillaise, explique-t-il. Beaucoup de gens la perçoivent comme une musique joviale et l’associent avant tout à La Compagnie créole. Or, la tonalité globale de la compilation est assez sombre, ce n’est absolument pas de la musique pour touristes.”
Sorte de boléro imbibé de blues et déchiré par les râles d’un saxophone mélancolique, évoquant la traite des esclaves noirs, la chanson introductive (Antilles Méchant Bateau de Mahy) donne son titre à la compilation et en indique bien la teneur – plutôt sombre, en effet.
Comme un cri du coeur
Au total, quinze chansons sont ici réunies, qui naviguent entre biguines chagrines, ballades meurtries et mélopées chaloupées, scandées plus ou moins intensément par les roulements du ka. Grand tambour fabriqué à partir d’un tonneau de salaison ou de vin, le ka a donné naissance au gwo ka, style musical guadeloupéen apparu à l’époque du colonialisme. Symbole de résistance, le ka va également s’imposer comme l’instrument emblématique du mouvement émancipateur s’éveillant au cours des années 1960 et rythmer la révolte (d’une partie) de la jeunesse locale. Le chant en créole constitue une autre arme dans la lutte face à la politique d’assimilation et d’exploitation du gouvernement français d’alors – une arme à l’éclat poétique imparable. Porteuses à des degrés divers des traumas du passé et inscrites au cœur de leur présent, toutes les chansons de cette compilation ont parfaitement traversé les années et témoignent d’un nouveau souffle musical toujours aussi vivifiant cinquante ans après.
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