Plongée angoissante dans une Angleterre brexiteuse, Years and Years donne à voir le délitement de la société occidentale à travers les yeux d’une famille britannique. Grande réussite, la série débarque en prime time sur Canal +, et on vous donne cinq raisons de ne pas passer à côté.
Diffusée sur BBC One et HBO (producteurs associés de la série) entre mai et juin dernier, puis sur MyCanal dans la foulée, Years and Years s’est imposée comme l’un des grands événements sériels de l’année. A la fois fiction politique, série d’anticipation et grande saga familiale, tantôt grinçante tantôt profondément dépressive, la création de Russel T. Davies chronique le quotidien d’une famille anglaise sur plus de dix ans, de nos jours à un futur proche plus ou moins apocalyptique. La série est en prime time sur Canal + depuis la rentrée, il serait dommage de passer à côté. Ça tombe bien, on vous explique en cinq points pourquoi il faut absolument la regarder.
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1. Parce qu’elle fait la chronique anxiogène du Royaume-Uni post-Brexit
En suivant sur plus de dix ans le quotidien des Lyons, une famille anglaise composée de deux frères et deux sœurs, leurs compagnes et compagnons respectifs, et leur grand-mère (la mère est décédée et le père a construit une nouvelle famille), Years and Years s’attache autant à ausculter les affres d’une famille en crise qu’à portraiturer un Royaume-Uni post-Brexit. Si la série commence de manière ultra-contemporaine, un beau jour de 2019, bien vite, au gré d’un montage alterné tourbillonnant, les années passent et le Brexit tant redouté (ou tant attendu) est proclamé. Les premières retombées ne tardent pas à se faire sentir, quand, orphelin de son Union Européenne, le Royaume-Uni – plus que jamais dépendant des Etats-Unis – se retrouve sur le pied de guerre après une attaque nucléaire américaine sur la péninsule chinoise de Hong Sha. Les vielles angoisses du XXème Siècle reviennent plongeant le Royaume dans la récession. En fil conducteur, on suit l’irrésistible ascension de Vivienne Rook (campée par Emma Thompson), politicienne britannique qui divise d’abord l’opinion, et dont le populisme rance autant que la chevelure peroxydée rappellent Marine Lepen, Donald Trump ou Boris Johnson. Les Lyons suivront sa montée en puissance, d’abord par écrans interposés lors de ses apparitions sulfureuses sur les plateaux télé, puis dans des meetings délirants la portant aux nues. La série parvient, par petites touches pointillistes, à saisir avec justesse la fabrication méthodique d’un monstre politique, miroir à peine déformant de l’ascension bien réelle de nos leaders d’extrême droite contemporains.
2. Parce qu’elle mêle la grande Histoire à la petite
Qui n’a jamais frémi en entendant retentir, comme tous les premiers mercredis du mois, la sirène d’alarme angoissante rappelant les heures les plus sombres de notre Histoire. Pendant une seconde, on se demande s’il s’agit bien d’un test de maintenance, ou si, comme des millions d’hommes et de femmes avant nous, l’impitoyable machine de l’Histoire allait nous prendre dans ses filets. Cette angoisse millénariste, Years and Years en capte tout le vertige. Comme la crise des subprimes de 2008 avant lui, le Brexit chamboule le quotidien des Lyons, qui en subissent les retombées de manière disparate. Pour l’aîné de la famille, Stepehen, conseiller financier fortuné, il a tout d’une tragédie, et la chute des banques qu’entraîne la récession lui fait perdre plus d’un million de livres ainsi que son emploi, l’obligeant à se reconvertir livreur sur deux roues. De son côté, Rosie, qui élève seule ses trois enfants et a toujours connu la précarité, y voit une promesse de revanche sociale, et devient progressivement un soutien affirmé de Vivienne Rook, qui promet de faire tomber les puissants, et de redonner au peuple sa souveraineté. Moins lisible sur l’échiquier politique, Edith Lyons, activiste prônant une forme d’anarchie libertaire, entretient avec le Brexit et l’ascension populiste de Viv Rook une relation ambivalente. Enfin, le cadet de la famille, Daniel, qui travaille dans un camp d’accueil de migrants, est confronté au durcissement de la politique d’immigration post-Brexit quand son amant, un jeune ukrainien persécuté en ses terres pour son homosexualité, est renvoyé manu militari dans son pays, où l’attend une politique encore plus ferme à l’égard des homosexuels. Leur relation à distances et les faux espoirs de leurs retrouvailles constituent l’un des arcs les plus poignants de la série.
3. Parce qu’elle ausculte nos angoisses contemporaines à l’aune d’un futur proche
Comme George Orwell l’avait fait en 1949 avec son chef-d’œuvre 1984, Russel T. Davies nous plonge avec Years and Years dans un futur dystopique nourri par nos inquiétudes contemporaines. Tous les sujets de société qui nous travaillent et les périls qui nous guettent, de la crise des migrants au réchauffement climatique en passant par la montée de l’extrême droite, sont passés à la lessiveuse semi-fictionnelle d’une série presque prophétique. Y tourbillonnent nos angoisses contemporaines et tout le chaos du monde, la série jouant avec notre souvenance de la crise financière de 2008 pour en proposer une version plus chaotique encore, ou avec le constat bien réel de la consommation par les deux bouts de notre planète à l’agonie. Mais à ce constat désespérant (et désespéré), Years and Years oppose l’humanité de ses personnages, et leur relation parfois tumultueuse, mais souvent lumineuse. La grande force de la série tient à sa faculté d’imaginer un futur profondément dystopique, tout en nous montrant ses personnages continuant à vivre, plus difficilement sans doute, mais toujours avec leurs convictions, leurs certitudes et leurs doutes, devenant des sortes de voyageurs du futur ayant pour mission de nous préparer aux grands bouleversements qui guettent notre époque trouble.
4. Parce que c’est la saison 5 de Black Mirror qu’on attendait
Série d’anticipation anthologique devenue un véritable phénomène, Black Mirror avait perdu de sa superbe en juin dernier avec la diffusion de sa cinquième saison, bien en deçà des précédentes. Mais la création de Charlie Brooker, qui imagine un futur proche à la faveur de notre relation ambivalente à la technologie, trouve en Years and Years une digne héritière. Même si cette dernière ne dispose pas de la même structure anthologique (avec des épisodes indépendants) que son aînée, elle parvient avec habileté à prophétiser les dérives technologiques qui nous guettent. En plus de l’omniprésence des écrans et des assistants personnels intelligents (type Google home) qui ne se dément pas les années passant, la série imagine de nouvelles formes de dévoiement technologique. Ainsi, la jeune Ruby Lyons passe le plus clair de son temps avec une sorte de masque holographique qui affiche des filtres snapchat directement sur son visage, brouillant toujours plus la frontière entre organique et numérique, tandis que sa grande sœur, Bethany, fait son coming-out trans. Mais pas transgenre, comme l’imaginent ses parents, prêts à accompagner la transition de leur fille. Non, Bethany veut devenir transhumaine. Son projet ? Devenir une entité numérique pour se libérer de son enveloppe corporelle, et rejoindre le big data. Cette intrigue transhumaniste, la série la tisse habilement, montrant les dangers que représente une transition précipitée, notamment dans une scène tétanisante dans laquelle une amie de Bethany voit son œil bionique, fraîchement installé par des chirurgiens frauduleux, dangereusement dysfonctionner.
5. Parce que c’est une grande saga familiale en 6 épisodes
En montrant, sur plus de dix ans, le délitement de la société occidentale à travers le regard d’une famille britannique, Years and Years avait suffisamment de matière pour dérouler son intrigue sur de nombreuses saisons. Mais en faisant le choix d’un « fast storytelling », la série a su trouver sa propre voie, et en tirer un concept retors. Grâce à une science consommée de l’ellipse, Years and Years fait passer plusieurs années en quelques minutes, et donne à voir l’évolution de la famille Lyons à la faveur des grands bouleversements sociaux qui nous attendent. Mieux, la série évite l’écueil qu’aurait pu occasionner son dispositif narratif, et rend parfaitement lisibles les nombreuses informations à enregistrer à chaque saut temporel. Un tour de force à mettre au crédit de Russel T. Davies et de son écriture ingénieuse, mais aussi à celui des acteurs, qui parviennent à donner corps aux états d’âme changeants de leurs personnages, ballottés par les chamboulements successifs de la société anglaise. Une véritable leçon d’écriture.
Years and Years de Russel T. Davies, disponible sur MyCanal et sur Canal + les lundis à 21h
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