Le cybersexe ? Ce n’est plus seulement un fantasme mais un genre de pratique éclairée que ses amateurs décrivent comme révolutionnaire. Rencontre avec Yann Minh, adepte des recoins les plus interlopes du, toujours actif, réseau Second Life.
Yann Minh, artiste, passionné de nouvelles technologies et des questions qu’elles soulèvent, est lui-même un fervent consommateur de cybersexe. Ce qui lui plaît avant tout ? Explorer le champ des possibles. Car la cybersexualité permet d’être, en virtuel, qui l’on souhaite sans réserve, ni contrainte : une femme ou un homme, une chimère ou un dragon, et si l’envie vous vient de copuler avec un.e elfe sous les traits d’une chatte, rien ne vous en empêche. »L’un des outils les plus puissants que l’humain a créé jusqu’alors est le réseau numérique. Ajoutez-lui la notion de sexualité́ – qui n’est jamais neutre car elle a une implication existentielle forte et structurante – et c’est à une image amplifiée de lui.elle- même à laquelle l’utilisateur.rice.s se trouve confronté.e. Le cybersexe a cette capacité́ à générer une multitude de dividualités« .
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Ici, les utilisateur.rice.s peuvent se connecter, interagir, en gommant leurs différences physiques, sociales, spirituelles, pour vivre une versatilité́ sexuelle exceptionnelle comme si, par une étrange magie, la jouissance n’était plus réduite aux seules bornes de notre enveloppe charnelle. « Je crois beaucoup plus à la force des interactions humaines via des processus cybernétiques de téléopération qu’à l’utilisation de robots autonomes : lorsque l’on sait que derrière ces systèmes se cache une autre personne, la sensation n’en est que plus forte, plus exaltante« .
Mais où trouve-t-on ces communautés ? En ligne, sur Second Life. On croyait le réseau moribond. Le métavers bouge encore. Cet univers virtuel a connu ses heures de gloire, entre 2003 et 2007, et s’était fait connaître pour proposer à ses utilisateurs de se construire en 3D leur petit chez-soi : se créer une jolie maison, visiter celle de leurs voisins, adopter un animal imaginaire, voyager dans des paysages psychédéliques… Un jeu pour grands enfants en quelque sorte. Mais Second Life regorge aussi de lieux dédiés à la luxure.
« Il s’agit quasiment du seul jeu de rôle en ligne massivement multijoueur.se (MMORPG en anglais) ouvert à tou.te.s et où l’on peut pratiquer des activités sexuelles« , précise Yann. « Loin des structures traditionnelles, en haute altitude, dans des espaces dissimulés, se dressent des “skybox” dédiées à la cybersexualité. Second Life est un lieu où l’on peut avoir une sexualité́ qui ne serait jamais possible dans le réel, à moins de vouloir terminer ses jours en prison. Selon moi, ces activités représentent 50 % des pratiques sur le réseau », souligne Yann. « Un jour, je me suis rendu dans un donjon BDSM tenu par une opulente chimère démoniaque et sensuelle. Une opération de maintenance informatique sur les serveurs a déconnecté le reste du métavers, et nous a isolé.e.s dans une bulle virtuelle, ce qui a favorisé un échange de confidences sur nos vies. Elle était en train de mourir d’une sclérose en plaques dans un hôpital. Second Life était pour elle l’opportunité́ de pouvoir explorer une sensualité nouvelle à jamais inaccessible dans la matérialité́ biologique. De plus, la pratique du BDSM, là où elle vivait aux Etats-Unis, était interdite« . Une fois la panne réglée, elle a repris ses activités de domina. « J’estime qu’Internet a favorisé les rencontres. Je n’ai jamais noué autant de contacts que depuis que je suis connecté. D’ailleurs ce qui est troublant parfois, c’est de rencontrer une personne avec qui cela fonctionne parfaitement sur le réseau et, une fois face à face, il ne se passe plus rien, le courant ne circule pas… et de retour dans la peau de nos avatars la complicité́ revient, comme avant« .
À travers une multitude d’avatars numériques, Second Life permet d’expérimenter des jeux de rôle propres aux métiers d’acteurs ou de comédiens. « Nous pouvons évoquer des entités anciennes, les faire exister à travers nous, que ce soient des démons, des anges, des femmes guerrières. Ces avatars finissent par nous habiter. C’est un phénomène aussi puissant que mystérieux ».
Pour avoir des sensations physiques, les utilisateur. rice.s ont recours à des technologies de stimulation sexuelle, comme des vibromasseurs connectés en USB ou des combinaisons haptiques, c’est-à-dire munies de capteurs situés aux endroits les plus sensibles. Ainsi appareillé.e.s, les joueur.se.s vibrent aux stimuli électriques et mécaniques envoyés à leur avatar par d’autres avatars. « La cybersexualité passive, comme le visionnage du porno, est déjà̀ un phénomène intéressant : il procure des sensations sexuelles fortes, même sans interactivité́, rien qu’avec la vue et l’ouïe. Imaginez lorsque vient s’ajouter la dimension corporelle… Un nouveau répertoire émotionnel et sensuel, original et spécifique, se crée ». Selon Yann, jamais les robots sexuels ne pourront rivaliser. « Avec eux, l’humain voudra forcément un spectacle total qui s’accorderait en tous points au réel ; alors qu’avec des dispositifs plus légers, plus simples, à faible coût, on accède à une expérience émotionnelle forte, et totalement originale« .
La pratique du cybersexe sur réseau nécessite encore un bon niveau de culture geek. Nous sommes loin d’un loi- sir de masse. « Tout cela manque évidemment de spontanéité́, mais lorsque nous aurons des vêtements préconnectés, les interactions avec le cyberespace seront plus immédiates, et le phénomène prendra de l’ampleur très vite. Avec Second Life, j’ai découvert une versatilité́ et une flexibilité́ du corps exceptionnelles. C’est d’ail- leurs un de mes fantasmes dans la vie réelle : grâce à des injections de nanorobots, pouvoir passer, durant une conversation, d’un corps masculin à un corps féminin, devenir un cyborg, une entité́ asexuée, et pourquoi pas une furie, un.e hybride félin.e humain.e, juste par transformation de nos cellules à grande vitesse ».
Ce texte écrit par Sylvie Le Roy est extrait de la revue #13 de l’ADN consacrée au sexe. Disponible en kiosque et sur www.ladn.eu
https://youtu.be/aEUmvep5uCI
PARCOURS DE YANN MINH
Artiste, chercheur, créateur du NøøMuseum un musée dématérialisé immersif en réalité́ virtuelle, créateur de mondes virtuels et persistants, écrivain de SF et conférencier, spécialiste des cybercultures, enseignant et formateur en 3D et en réalités augmentées et virtuelles.
À VISITER
yannminh.org noomuseum.net
À LIRE
Yann Minh, Thanatos. Les Récifs, Florent Massot, 1997.
Le NooNaute. Nouvelles poétiques éditées dans le recueil dirigé par Karen Guillorel, Traverses. Livre voyageur, 2007.
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