Il aura fallu attendre le cinquième jour du festival pour être complètement séduit par une œuvre. Il s’agit de Mandibules, le nouveau film de Quentin Dupieux. Pour le reste et à quelques exceptions près, cette édition de la Mostra est plombée par des films sentencieux, découlant d’une certaine idée du cinéma d’auteur contemporain.
Après Le Daim (2019), le compositeur du morceau d’électro culte Vous êtes des animaux poursuit son bestiaire cinématographique avec Mandibules. Alors qu’ils sont chargés d’une transaction douteuse, deux loosers désargentés (Grégoire Ludig et David Marsais, le duo du Palmashow) découvrent dans le coffre de la voiture qu’ils ont volé une mouche géante qu’ils décident d’apprivoiser. Aux termes d’une suite de péripéties aussi rocambolesques qu’hilarantes, ils se retrouvent dans la maison de vacances d’une bande d’amis interprétés par India Hair, Roméo Elvis, Coralie Russier et Adèle Exarcopoulos (géniale dans le rôle à contre-emploi d’une personne atteinte d’un trouble du langage).
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Dans cette nouvelle comédie ultra-réussie, Quentin Dupieux poursuit le mouvement d’assèchement de son cinéma déjà à l’œuvre dans Le Daim. Dégraissé de tout arc méta, épuré de la mécanique du rire obtenu par l’entremise du malaise et de l’absurde, sa mise en scène gagne en fluidité et en limpidité, tout en ne perdant rien de son anticonformisme. Le film regorge de trouvailles comiques, comme ce « fist bump » taureau que le duo d’humoristes décline à toutes les sauces et dont on imagine qu’il rentrera dans les usages des futurs spectateurs du film. On a le sentiment que, plus que dans tout autre de ses films, Quentin Dupieux a dans Mandibules offert à ses acteur·trices un écrin où leur génie comique se déploie comme jamais auparavant.
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Mandibules d’air
A voir l’enthousiasme du public à l’issue de la première projection presse du film, dévoilé samedi matin hors compétition, Mandibules a, à juste titre, été vécu comme la bulle d’air d’une sélection officielle jusque-là plombante. Le sentiment d’évoluer au sein d’une bulle, terme qui connaît une actualité brûlante avec le coronavirus (la multiplication des bulles domestiques, sanitaires, sociales, etc., comme autant de remèdes à la propagation du virus) se ressent d’autant plus lors de cette édition de la Mostra du fait du caractère insulaire du festival (il se déroule sur l’île du Lido) et des mesures sanitaires drastiques mises en place cette année (caméras thermiques, obligation de porter le masque en toutes circonstances, même en salle où l’on vous rappelle à l’ordre, ne serait-ce que si vous glissez votre masque en dessous du nez pour mieux respirer, et check point à tous les accès du festival, où le personnel de sécurité vous pose un pistolet à température sur la tempe à chaque passage).
Une chape de plomb
L’impression d’étouffer dans cette bulle festivalière n’a pas été arrangée par les films vus en compétition officielle. A l’issue de certaines projections, on eut même le sentiment qu’on avait troqué la bulle avec une chape de plomb, une cloche sous (co) vide. On pense à Quo Vadis, Aida ? de Jasmila Žbanić (un drame historique sur le massacre de Srebrenica en 1995 mis en scène dans un souci d’immersion moralement problématique), The World to come de Mona Fastvold (drame lesbien dans la campagne américaine du 19ème siècle déprimant de prétention, avec Vanessa Kirby, Katherine Waterston et Casey Affleck) et surtout Pieces of Woman de Kornél Mundruczó (un nouveau drame où une femme perd son nouveau-né juste après l’accouchement, avec Vanessa Kirby – qu’on pressent pour le prix d’interprétation féminine – et Shia Labeouf).
Ce dernier film, qui s’ouvre sur un irrespirable plan-séquence d’une vingtaine de minutes où tout le suspens tourne autour de la mort (ou pas) d’un nourrisson, est un sommet de cinéma misanthrope où tous les artifices de la mise en scène sont mis en service de l’exploration complaisante de la misère humaine et d’une prise en otage des affects du spectateur. De façon plus globale, il se dégage de la compétition officielle une vision du cinéma – qu’on suppute être celle du délégué général du festival, Alberto Barbera – comme un art pompier, écrasant de sérieux et de complaisante vanité, où l’excessive solennité stylistique se fait au détriment de la subtilité de touche et uniquement mis au service d’une description sombre de l’humanité.
Paris parano
S’il prend à bras-le-corps notre temps tourmenté, La Troisième Guerre, le premier film du jeune réalisateur français Giovanni Aloi, avec Leila Bekhti, Karim Leklou et Anthony Bajon et présenté à Horizzonti, évite l’écueil de la misanthropie. Le film suit une patrouille militaire parcourant les rues d’un Paris en proie, d’un côté, à la menace terroriste et, de l’autre, aux manifestations populaires.
À travers les yeux de ces soldats entraînés à voir le monde à travers un prisme paranoïaque, le film déploie une critique assez subtile de l’endoctrinement des forces de l’ordre et pose la question du prix du sentiment de sécurité de nos démocraties, autant qu’il en explore la relativité. Complément fictionnel au documentaire Un pays qui se tient sage de David Dufresne, qui sortira le 30 septembre prochain, La Troisième Guerre résonne aussi sans le vouloir avec le climat de peur actuel, celui d’une menace invisible (un virus) contre lequel nos sociétés en général, et la Mostra en particulier, tentent de se protéger par tous les moyens possibles, posant comme jamais la problématique du maintien de la liberté dans un climat obsédé par la sécurité.
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