Un premier album de pop classieuse et minutieuse, porté par une ribambelle de refrains élégants.
A première vue, Francis Lung pourrait passer pour un mec un peu perché, le genre de gars à prétendre être influencé par “les vibrations des gens”, à composer des morceaux en pensant à ses anges gardiens (I Do Believe in U) et à envisager ses compositions comme autant d’“émotions à mettre en ordre”. Reste que, derrière ses allures de doux illuminé, l’Anglais se révèle surtout d’une extrême gentillesse. Quand on lui parle de Manchester, sa ville, il ne peut s’empêcher de nous y inviter. Quand on évoque la présence du skateur Tom Day dans le clip du splendide 2 Real, il ne peut faire autrement que de nous proposer d’aller rider, avant d’évoquer toutes ces vidéos de skate, à commencer par la fondatrice Streets on Fire (1989), qui l’ont beaucoup influencé.
“Sur cette vidéo d’un peu plus d’une heure, explique-t-il, avec la nonchalance de ceux qui ont tout leur temps, chaque groupe présent avait au moins quatre chansons. C’était presque comme si j’écoutais des maxis de Sonic Youth, Minutemen, Descendents ou Black Flag. Ça me faisait tellement voyager.”
“Je vais vivre mes rêves” indique Francis Lung en ouverture
Plutôt qu’étrange, Francis Lung est donc avant tout un rêveur, un jeune trentenaire incapable d’affronter la brutale réalité de ce monde et qui préfère donc se façonner son propre univers. “Affronter le moment présent me demande énormément de force, alors rêver est une sorte de réconfort pour moi. C’est une échappatoire, d’où l’omniprésence de ce thème sur mon premier album. Mais ça peut aussi avoir un effet toxique : Invisible, par exemple, parle du fait de vouloir s’échapper, d’avoir ce besoin de rêver pour mieux s’isoler des autres tant on ne peut supporter le monde autour de soi…”
Cette thématique du rêve, finalement, est résumée dès le titre du disque (A Dream Is U), voire dès les premiers mots choisis en ouverture (“I wanna live in my dreams”). Mais Francis Lung est également un orfèvre, un musicien qui a fait le plus beau pied de nez à son époque en prenant le temps de composer un premier effort brillamment orchestré, apte à rendre plus douces les nuits blanches. D’ailleurs, il n’est jamais vraiment question ici d’accompagner un quelconque propos, mais bien de magnifier chaque idée, chaque trouvaille mélodique. Avec des références en tête.
“I Wanna Live in My Dreams a été composé en pensant aux Ronettes, je voulais une production à la Phil Spector, tandis que Up & Down me fait penser aux Beatles. Ce n’était pas volontaire, j’ai longtemps cherché à masquer tous ces clins d’œil, puis j’ai fini par les assumer. C’est mon album solo, après tout, je n’avais pas à m’imposer de règles.” Désormais convaincu par ses choix, Francis Lung ose tout, quitte à se lancer dans des accords complexes et à délaisser l’ambiance ouvertement dansante de son deuxième EP.
L’idée est de ne rien s’interdire, et donc de composer des chansons qu’il prendrait lui-même plaisir à réécouter. “Pour chacun de mes dix morceaux, je me demandais comment devait sonner tel ou tel son, tel ou tel instrument. J’avais plein d’idées, je voulais utiliser tout un tas d’orchestrations, et surtout, je ne voulais pas d’une musique déprimante. C’est d’ailleurs ce qui m’a pris le plus de temps ces dernières années. J’avais vraiment besoin de savoir où je voulais aller, de faire de bonnes rencontres et de trouver de l’argent.”
Une belle faculté à savoir s’entourer
Plutôt qu’un disque DIY, plombé par le manque de moyens et par des sons bricolés à la va-vite en studio, A Dream Is U s’impose au contraire comme un album d’une extrême beauté, parfaitement arrangé et suffisamment riche en ornementations (violon, alto, violoncelle, saxophone…) pour séduire les cœurs fragiles, jamais vraiment remis des albums de Nick Drake et Scott Walker. “C’est marrant, parce que je pensais réellement à ces deux artistes au moment d’écrire les parties de cordes et d’arranger l’album. Avoir ce côté dissonant au sein de morceaux assez orchestrés, ça me paraissait essentiel, ça offre aux chansons quelque chose de très intense, qui prouve qu’elles sont plus complexes que ce que l’on pourrait penser à la première écoute.”
Derrière ces jolies pop-songs à la fois fragiles et romantiques, c’est en effet tout le savoir-faire mélodique de Francis Lung que l’on entend, cette faculté à savoir s’entourer (Brendan Williams à la production, Sam Healy au saxophone et des membres du Hallé Orchestra à l’accompagnement) et à placer quelques phrases tourmentées quand tout ne semble que paix, optimisme et beauté : “Some dreams are scary, some dreams are sad / Some of the best nights that I’ve ever had / Then there’s U”, chante-t-il sur le morceau-titre, avec cette quiétude et cette sensibilité qui tranchent illico avec les brûlots qu’il composait autrefois au sein de WU LYF.
Aujourd’hui, il ne reste de toute façon plus grand-chose de la formation mancunienne, si ce n’est ces hymnes torturés, ces odes au no future que Francis Lung réécoute parfois. Avec, à chaque fois, une pointe de nostalgie : “Notre unique album est sorti en 2011, et il faut bien avouer que cette période est passée à une vitesse folle, tout était si intense… Je n’avais pas de boulot, peu d’argent, mais c’était une période formidable. Dont on a tous réussi à s’extraire à travers différents projets plus ou moins personnels.” A Dream Is U, lui, fait d’ores et déjà partie de ces disques tellement intimes qu’ils touchent à l’universel. Avec, en prime, une flopée de tubes voués à vaincre le vague à l’âme, rapprocher les corps et susciter de nouvelles romances.
Album A Dream Is U (Memphis Industries/PIAS)
En concert Le 7 novembre, Paris (Pop-Up du Label)