Avec son nouvel album qui sort aujourd’hui, “Mr Sal”, le rappeur de l’Essonne montre que les stratégies, la science de la promo et une image bien maîtrisée ne sont pas les principaux ingrédients de la réussite. Sa musique suffit, sans calcul, à le hisser en haut des charts. Prends ça l’intelligentsia.
La question de l’authenticité est très souvent posée dans le rap. Faut-il raconter à tout prix son vécu, ne pas se construire de personnage ? Faut-il éviter de tricher, au risque de mentir finalement ? Comme à son habitude, Niska ne se pose absolument pas ce genre de questions. D’ailleurs, c’est certainement parce qu’il ne s’en pose pas ou peu, que le rappeur originaire d’Evry, en Essonne, continue de déferler sur le paysage musical hexagonal depuis 2015. Une vague que l’on ne peut arrêter, de l’eau qui s’infiltre partout. Ceux qui ne l’aiment pas peuvent tenter de boucher le bas de leurs portes ou se boucher les oreilles pour l’empêcher d’entrer, il se faufilera tout de même. Concernant l’authenticité, il le dit : « Certains rappeurs parlent de choses qu’ils n’ont pas vécues pour être dans les codes du rap, très bien. Moi, j’ai grandi dans les codes« .
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« Je n’ai pas de stratégie«
Son nouvel album, Mr Sal, est déjà l’occasion de calculer le nombre de millions de vues qu’il cumule. En voilà déjà 40 pour le single principal qui en est tiré, Médicament, en featuring avec Booba. Pas forcément son meilleur morceau, et presque une goutte d’eau au milieu des 281 de Réseaux, des 88 de Freestyle PSG ou des148 de Salé. Ce qui est le plus fort, c’est aussi que le calcul brille par son absence lorsqu’il s’agit d’évoquer son parcours et de regarder quatre années en arrière, à ses débuts : « Je mettais des morceaux sur Internet, et puis ça montait, montait, montait… Je ne comprenais pas. Tout est devenu très gros très vite, on est passés de rien du tout à Sapé comme jamais avec Maître Gim’s en neuf mois. C’est compliqué à vivre, il y a trop d’informations. T’as 20 ans, et d’un coup tu ne comprends plus ce qui se passe. Les interviews, les concerts, les NRJ Music Awards… Je suis devenu ce que je regardais à la télé quelques mois avant« . Niska n’a rien d’un « control freak ».
Rien n’est calculé ou presque. Après une mixtape (Charo Life en 2015) et deux albums (Zifukoro en 2016 et le carton Commando en 2017), l’homme de 25 ans a appris à penser instinctivement sa carrière. « Je n’ai pas de stratégie. Je prends le son que j’estime être le mieux pour le public, je le clippe, et je le poste, point. J’ai confiance en mes morceaux, j’y vais« . C’est simple, mais cela peut-il pousser à faire des erreurs ? « J’en ai fait pas mal à mes débuts parce que je ne savais pas comment tout cela fonctionnait réellement. Dans les choix de singles ou dans la promotion des projets… Mais on apprend comme cela. »
« French superstar »
Avec Mr Sal, Niska pose encore à l’instinct, totalement débridé. Le lâcher prise devant le micro est sa marque de fabrique. Jamais il ne s’assoit à une table pour écrire un texte, jamais il ne souhaite aborder un thème majeur dans un morceau. Il pose tout en one shot, comme pas mal de rappeurs, quitte à passer parfois du coq à l’âne. Par exemple, l’une des phrases marquantes du projet est la suivante : « Ça n’est pas normal comment ont vécu les miens / Toujours les mêmes citoyens au tribunal. » Elle est parlante, mais figure sur le morceau Siliconé qui, comme son nom l’indique, est une ode à une certaine forme de plastique féminine. Rien à voir avec le sujet. Certes, Kalash Criminel et d’autres, sont spécialistes du mélange des genres ; pour ce dernier il y a même une volonté de faire ressortir la phrase, de faire que le propos, enfoui au milieu des futilités, devienne plus visible s’il surprend. Mais pas de ça chez Niska, lui ne calcule pas.
On le sait, le rappeur du 91 a une palette large. Mais cet album n’y va pas par quatre chemins. Le schéma reste le même, la volonté de « faire du sale », d’ambiancer et de parsemer le tout de ses célèbres gimmicks prime. Pour se faire, il s’est entouré de producteurs de choix. Ceux qui avaient participé à l’album Commando comme Double X, DJ Ken, ou l’excellent Pyroman, mais aussi Dopeboy, fer de lance d’une scène rap hollandaise en plein essor, qui a notamment concocté le titre Stop, certainement l’un des meilleurs de la tracklist. Et puis quelques Anglais aussi. D’ailleurs, quelle ne fut pas la surprise des amateurs de rap en lisant, il y a de cela cinq mois, un article sur Niska sur le site du Guardian, le présentant comme la superstar du rap en nos contrées (ce qui n’est pas totalement faux). Il y mettait une petite pique aux rappeurs américains un peu prétentieux, mais évoquait aussi une collaboration avec Skepta.
Alors forcément, comme beaucoup, on s’attendait à la trouver sur Mr Sal. Que nenni. « On m’en parle, on m’en parle… Elle est là, hein, mais j’attends encore. L’instru est la sienne, et c’est lui qui m’a proposé de poser dessus quand il est venu à Paris pour la Fashion Week. Elle peut sortir n’importe quand. Mais j’étais dans d’autres délires sur cet album. C’est un son grime avec une touche de trap, pas tout à fait ce que j’ai fait ici. » Niska ne va pas dévier de sa route parce que Skepta est Skepta. Pas de cadeau, pas de calcul. Ce ne sont pas non plus les polémiques récentes dans lesquelles il est empêtré (une de ses ex affirme qu’il serait le père de son enfant, mais qu’il refuserait de le reconnaître) qui vont le faire vaciller.
Faire du sale et faire de l’argent
Chez Niska, il y a l’efficacité des singles, indéniable, celle des freestyles aussi, mais surtout, et c’est peut-être la clé de son succès, ce côté « homemade », instinctif, parfois presque automatique de la musique. « Je ne donne pas trop d’indications aux beatmakers, mais surtout, j’aime qu’il y ait quelque chose d’un peu amateur dans les productions que je choisis. Si c’est trop beau, trop propre, ça me parle moins. Il faut que ça sente un peu l’arrache, le truc fait entre nous, le truc qui vient d’en bas. » On a l’habitude d’entendre que la glorification de l’argent fait partie du rap, de ses codes, que cela est devenu incontournable. Ça n’est pas forcément vrai. Une partie du rap français en fait sa source d’inspiration principale, tant mieux, mais ne mettons pas tout le monde dans le même panier. Mr Sal pousse la chose parfois jusqu’à l’overdose, plus que sur les précédents projets du rappeur. « Si je parle plus d’argent, c’est peut-être parce que j’en ai plus« , s’amuse-t-il. Sa marque, Charo, qui s’affiche comme publicité en introduction de certains de ses clips, y est pour beaucoup.
Mr Sal, s’il n’a peut-être pas, de prime abord, le potentiel d’un Commando, reste une usine à cartons. Du lundi au lundi, dernier single en date, a par exemple été playlisté sur France Inter, que l’on a souvent jugé hermétique au rap venu de l’autre côté du périphérique. « J’ai halluciné quand j’ai vu ça« , avoue Niska, non pas par fierté, non pas percevant cela comme une consécration, mais en étant tout simplement sur le cul de voir une radio en apparence fermée à sa musique se convertir si brusquement. On l’a dit, Niska s’infiltre partout. Nul doute qu’il se déversera sur les charts français comme un tsunami, comme à son habitude, et comme si rien n’était calculé.
Niska Mr Sal (Talent Factory / Capitol)
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