La metteure en scène associée du Maxim Gorki Theater de Berlin, utilise volontiers l’humour grinçant comme une arme redoutablement efficace pour déminer les conflits. Un an après MeToo, sa pièce Yes but No imagine un monde féminisé pour succéder à celui de la domination masculine.
On a découvert Yael Ronen en France au festival Reims Scènes d’Europe avec Common Ground (“Terrain d’entente”) en 2015. Un théâtre documentaire sensible nourri du vécu de ses acteurs pour construire l’édifice fragile d’un spectacle aussi drôle qu’émouvant sur Sarajevo et la guerre des années 1990 en Yougoslavie, créé avec des acteurs venus de Bosnie, de Serbie, de Croatie, d’Israël et d’Allemagne et vivant aujourd’hui à Berlin.
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Née à Jérusalem au sein d’une famille d’artistes – son père, Ilan, dirige le théâtre Habima à Tel-Aviv ; sa mère, Rachel, est actrice et son frère, Michael, est également metteur en scène – ,Yael Ronen place le conflit et son déminage au cœur de son théâtre.
Dans l’une de ses premières pièces, Plonter, montée avec des acteurs juifs et arabes, elle imaginait une rencontre entre deux couples, l’un palestinien et l’autre israélien, pour mieux démonter ces préjugés qui dressent les uns contre les autres. Les acteurs jouaient tour à tour chacun des deux camps, en arabe et en hébreu. Dans The Situation, elle réunissait trois Palestiniens, un Syrien et une Israélienne suivant un cours d’allemand, espace de projection et miroir de la situation politique des trois pays.
D’origine austro-israélienne – son grand-père, athlète viennois, est parti en Palestine en 1936 –, Yael Ronen vit en Allemagne depuis plusieurs années. Un an après l’apparition de MeToo, elle en fait le thème de sa nouvelle création, Yes but No. Trois mots qui résument tout et claquent comme une nouvelle affirmation : celle qui place le consentement mutuel au moment de la rencontre plutôt qu’à celui de la rupture.
Quelle a été votre réaction, il y a un an, lorsque est apparu MeToo ?
Yael Ronen — Enfin ! Enfin, cette culture d’“hommes-qui-peuvent-se comporter-comme-des-connards” s’effondre ! Mais après, quoi ? En Israël, les religieux ont manipulé ce qui a démarré comme un mouvement puissant contre la violence sexualisée pour servir leurs propres intérêts, qui consistent à réguler et à opprimer la sexualité.
J’ai eu peur que le mouvement ne tombe dans de mauvaises mains – ce que j’estime être de mauvaises mains – et j’ai voulu utiliser l’opportunité unique que MeToo a créée pour parler d’une culture nouvelle entre les hommes et les femmes, entre tous les sexes et pour la société en général.
Vous vivez et travaillez à Berlin, au Maxim Gorki Theater. Quel retentissement a eu cette prise de parole collective en Allemagne ?En Allemagne, c’était comme un ouragan qui passe sur la côte mais n’entre pas à l’intérieur des terres. Il n’y avait presque pas de scandale, pas de noms qui apparaissaient dans le discours public.
« Est-ce que les hommes en Allemagne se comportent différemment que partout ailleurs dans le monde ? Est-ce qu’ils n’abusent pas eux aussi de leur position de pouvoir ? »
Le débat portait plutôt sur des données statistiques et sur l’immense inégalité existant en Allemagne entre hommes et femmes aux postes de pouvoir, sur l’écart des salaires, etc. Je me suis demandé pouquoi.
Est-ce que les hommes en Allemagne se comportent différemment que partout ailleurs dans le monde ? Est-ce qu’ils n’abusent pas eux aussi de leur position de pouvoir ? Et si ce n’est pas le cas, alors pourquoi n’en parle-t-on pas ouvertement ?
A quel moment vous êtes-vous dit que ce serait le thème de votre prochain spectacle ? Et pourquoi ?
Les thèmes de mes spectacles portent toujours sur des zones de conflit, qu’il s’agisse de grands incendies politiques ou de feux dans les chambres à coucher. A mon avis, MeToo a révélé les fissures de nos systèmes de pouvoir. Je pense que le moment est venu de se demander comment on peut abandonner cette culture de la domination patriarcale pour en créer une nouvelle fondée sur la coopération.
Dans le monde du théâtre aussi, il y a beaucoup plus d’hommes que de femmes qui travaillent dans les grandes institutions et les dirigent.Je me suis alors demandé comment utiliser le mouvement enclenché par MeToo pour penser à une transformation durable où la solution ne se résumerait pas à un simple échange des corps des hommes avec ceux des femmes, mais qui imaginerait – tous ensemble – la création d’un monde féminisé. Et quelle serait alors la caractéristique de ce monde féminisé ? Voilà ce que j’ai voulu explorer.
La pièce s’intitule Yes but No – A Discussion with Songs by Yael Ronen and Ensemble. Que signifie la deuxième partie du titre ? Qu’il s’agit plus de prises de parole que de théâtre et que l’écriture y est collective ?
La forme de mes pièces reflète toujours le processus de travail. Le processus de création de Yes but No ne consistait pas à écrire une histoire avec un début et une fin, mais plutôt à interroger quelles seraient nos visions pour le futur ainsi que de suggérer des actions possibles.
Mais le théâtre aime les conflits et déteste les solutions (sauf si on fait un spectacle pour enfants sur les caries et les bactéries où seule compte la solution : brosse-toi les dents !). Cela dit, on a décidé de trouver quand même la forme la plus amusante possible pour parler de nos idées sur ces nouvelles formes de vivre ensemble. Heureusement, le chansonnier israélien Shlomi Shaban, qui fait partie de la troupe, a écrit avec notre équipe musicale des chansons délirantes.
Concrètement, comment s’est déroulé le processus de création du spectacle ?
Nous commençons toujours le travail sans texte, avec seulement une idée, le groupe d’acteurs et ma partenaire, la dramaturge Irina Szodruch. Nous avons rassemblé nos questions et nos réactions individuelles à propos de MeToo.
« Un des acteurs avait préparé pour la répétition une chronologie de sa vie sexuelle »
Ce sont des exercices d’écriture libre élaborés à partir d’improvisations. Par exemple, dans quelle situation as-tu voulu dire non sans y parvenir ? Ou bien, quand as-tu dit non sans que ce non soit respecté ? A partir de là, nous avons bâti des scènes, parfois comiques, parfois très douloureuses. Nous avons fait un atelier de tantra sur le consentement – vêtus et sans se toucher… c’était quand même un contexte de travail !
Nous décidions ensemble quels seraient les sujets traités et quelles histoires seraient racontées. Un jour, l’un des acteurs avait préparé pour la répétition une chronologie de sa vie sexuelle. C’est comme ça que nous avons créé la scène d’ouverture de la pièce, qui évoque la façon dont la curiosité infantile, puis les expériences embarrassantes de l’adolescence, peuvent déboucher sur des expériences de violence. Et cela nous a menés à la question : “As-tu écrit un post MeToo ?”
Yes but No se déroule en deux temps : celui des discussions, suivies d’un workshop. Comment les thèmes ont-ils été choisis et traités ? En quoi consiste le workshop de la deuxième partie ?
Notre proposition pour un monde féminisé envisage le passage d’une culture de la domination à une culture de la coopération. Il était alors logique pour nous de quitter la position dominante du plateau, dans l’or des projecteurs, qui semble un espace protégé, pour inviter le public à quitter sa position de soumission, assis dans l’ombre de la salle qui paraît elle aussi rassurante et protectrice.
L’interaction que nous proposons au public nous permet d’explorer ensemble des outils à mettre en place pour développer une culture de la coopération. Nous faisons avec lui quelques exercices simples de notre atelier tantra – mais ne vous inquiétez pas, tout le monde reste habillé et il s’agit de communiquer sans se toucher…
Le texte est écrit en deux langues, l’allemand et l’anglais. Pour quelle raison ?
Notre troupe est internationale, les acteurs et actrices viennent d’Allemagne, d’Israël, de Suède et d’Angleterre. L’anglais est notre langue de travail. Au Maxim Gorki Theater, nous avons l’habitude de parler plusieurs langues sur le plateau et toutes les pièces sont surtitrées. Cette dimension internationale se reflète aussi dans notre public.
Pour vous comme pour vos acteurs, en quoi se confronter à un thème autant d’actualité a-t-il été révélateur d’attitudes ou de fonctionnements passés sous silence jusque-là ? Cela a-t-il été libérateur ?
Lors des répétitions, nous parlions beaucoup de nos blessures. Ce fut un processus douloureux et qui a pris du temps. En même temps, cela nous a donné beaucoup de force. Parce qu’on peut finalement reprendre le contrôle de son histoire, valoriser sa propre interprétation d’un événement vécu en cessant d’en être la victime.
La rage peut remplacer le tabou, le deuil silencieux l’impuissance. Alors, le processus de guérison peut commencer. Idéalement, ce processus se transmet au public et la salle noire du théâtre peut alors devenir un lieu de thérapie pour quatre cents personnes en l’espace de deux heures. Ce qui est mon interprétation du principe de la catharsis.
Yes but No – A Discussion with Songs by Yael Ronen and Ensemble Création et mise en scène Yael Ronen. Jusqu’au 25 novembre au Maxim Gorki Theater, Berlin
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