L’association de défense des animaux L214 publie ce jeudi 5 septembre un manifeste intitulé “Quand la faim ne justifie plus les moyens” (éd. Les Liens qui Libèrent). De l’élevage à l’abattage en passant par l’environnement et la santé publique, elle dévoile les conséquences dévastatrices de l’élevage intensif dans les différentes strates de la société.
Avec son nouveau livre, Quand la faim ne justifie plus les moyens (éd. Les Liens qui Libèrent), qui paraît ce jeudi 5 septembre, l’association de défense des animaux L214 met en lumière les conséquences dévastatrices de l’élevage intensif. Mutilations pratiquées à vif sur des animaux qui viennent de naître, mutations génétiques dans le but d’accroître la productivité, enfermement dans des cages qui ne permettent pas le moindre mouvement aux animaux, abattage sans étourdissement, cadences infernales pour les ouvriers, pouvoir des lobbies et inaction des pouvoirs publics… tout y passe.
Ceci étant, la directrice de L214 Brigitte Gothière nous l’assure : il ne s’agit pas ici de plaider pour le véganisme – bien que l’association défende par ailleurs cette position -, mais de rassembler le maximum de personnes autour d’un objectif qui fédère 87 % de la population. Lequel ? Celui d’en finir avec un mode d’élevage générateur de grandes souffrances pour les animaux et dévastateur pour l’environnement. Entretien.
Pourquoi avoir décidé de publier un manifeste en plus des vidéos que vous diffusez régulièrement après vos enquêtes ?
Brigitte Gothière – Nos vidéos montrent ce qui se passe à un instant T, des situations ponctuelles, mais qui sont révélatrices d’une situation structurelle assez catastrophique pour les animaux. Un livre, lui, permet de donner une vue d’ensemble, mais aussi d’entrer plus dans les détails qu’une vidéo qui dure une minute. Ça permet de faire un bilan, de rassembler des données qui sont souvent éparses.
L’idée avec ce livre est vraiment de poser un constat qui est consensuel aujourd’hui, notamment sur les conséquences écologiques de l’élevage intensif. La dernière étude du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) montre bien qu’un certain nombre d’éléments convergent et que les politiques menées ne sont pas à la hauteur des enjeux.
L’idée est également de rassembler, de fédérer, et de dire qu’il faut qu’aujourd’hui on avance. Il y a beaucoup de demandes qui sont faites par des ONG et des citoyens, mais qui sont en ordre dispersé. Il faut qu’on arrive à trouver une force qui puisse être mise en face du lobby de l’élevage intensif pour pouvoir dire ‘Stop, maintenant ça suffit, on va aller dans le sens de l’intérêt général et non plus dans celui de l’intérêt particulier de quelques acteurs’. D’ailleurs, on voit bien que, même, pour les éleveurs ce système n’est pas pérenne.
Vous avez rencontré des agriculteurs qui n’étaient pas du tout en phase avec ce modèle et qui se sont reconvertis…
Oui, il y en a un qui témoigne dans le livre. Lui, comme d’autres, a été touché par la question animale à un moment donné. Ils ont choisi la reconversion dans un autre domaine, et ce que ce soit céréalier, maraîcher… Aujourd’hui, il y a une espèce de fossé artificiel, qui quelque part est voulu par l’industrie de la viande, avec d’un côté les véganes et de l’autre les bouchers et les éleveurs. En fait, pour nous, la ligne de césure n’est pas du tout là. Elle est plutôt entre ceux qui veulent des avancées pour les animaux et ceux qui veulent un statu quo. Ces derniers sont moins nombreux, mais très puissants avec des syndicats agricoles extrêmement forts comme la FNSEA.
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C’est là qu’il va falloir qu’on agisse, et c’est aussi l’intérêt de ce livre, de montrer que, même si on a une vision finale qui est différente, on a des intérêts communs. L214 est une association abolitionniste, et on aimerait que les animaux ne soient plus considérés comme étant une simple ressource à notre disposition, tandis que d’autres ONG, associations et particuliers vont avoir la vision d’un élevage paysan avec des structures beaucoup plus petites, des animaux qui ont accès à l’extérieur…
Nos deux objectifs sont au final différents, mais nous avons quand même des étapes compatibles. Il faut qu’on réussisse à se mettre ensemble : les conséquences de l’élevage intensif concernent aussi l’environnement, la santé avec le développement de l’antibiorésistance, ou encore des questions sociales sur les conditions de travail des ouvriers d’abattoirs et d’élevages. L’appel est signé par l’Oeuvre d’Assistance aux Bêtes d’Abattoirs, la Fondation 30 millions d’amis mais aussi par Greenpeace, Ecologie sans frontière, Halte aux marées vertes…
Votre manifeste montre l’envers du décor des élevages et des abattoirs, des réalités qui peuvent intéresser y compris les personnes qui n’ont pas l’intention d’adopter un régime végétalien ou végétarien. Comment parvenir à intéresser le plus grand nombre ?
C’est tout l’enjeu autour de ce livre puisqu’il s’adresse à tout le monde, à l’ensemble des personnes qui sont un petit peu soucieuses de notre avenir, et ce, que ce soit vis-à-vis des animaux mais aussi en termes environnementaux et de santé publique. On le dit dès le départ : ce n’est pas un plaidoyer pour le véganisme – et donc pour la vision qu’on défend par ailleurs – mais vraiment un livre pour des actions immédiates, ensemble, où tout le monde peut se retrouver qu’on mange de la viande ou non. D’ailleurs le boucher Hugo Desnoyer fait partie des signataires de l’appel. Là l’idée c’est de dire : on a un socle commun aujourd’hui très largement partagé puisque, d’après un sondage réalisé par Yougov, 87 % des Français sont contre l’élevage intensif.
Avec une telle proportion de consommateurs qui sont opposés à ces pratiques, comment expliquer qu’aucune décision ne soit prise au niveau politique ?
Au moment de la loi agriculture et alimentation, en 2018, sur la quinzaine de mesures qui étaient proposées, les seuls que l’on entendait s’opposer à ces modes d’élevage étaient les défenseurs des animaux. Or, ce ne sont pas les seuls qui étaient favorables à ces dispositions. Sauf qu’on s’est retrouvés face au lobby de l’élevage intensif (INTERBEV, FNSEA, CNPO…). Les parlementaires ont l’impression qu’il faut répondre à cette pression-là.
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Il faut que, la prochaine fois, le lobby citoyen soit plus fort que celui de l’élevage intensif. Voilà l’objectif du manifeste. On a bien vu la force du CNPO sur l’amendement contre l’élevage des poules pondeuses en cage. Tous les projets qui proposaient la fin de ce mode d’élevage ont été rejetés par la majorité des parlementaires qui étaient présents. Par contre, quand une députée a proposé un amendement rédigé avec la filière pour demander l’interdiction de construire de nouvelles installations, ils ont tous voté comme un seul homme pour l’adoption du projet. On voit le système verrouillé et, justement, avec des initiatives communes, on essaie de leur montrer que ça va leur coûter électoralement de ne pas se positionner du côté des animaux, et ce pour des mesures qui sont consensuelles. On leur demande juste de répondre aux attentes sociétales.
Equiper les abattoirs de caméras afin de pouvoir déceler plus rapidement les dysfonctionnements faisait partie des promesses de campagne d’Emmanuel Macron. Où en est-on de ce côté-là ?
Il y a eu une espèce de tentative d’enfumage. Un amendement pour que des caméras soient posées dans les abattoirs a bien été voté, mais pour les établissements qui sont volontaires à titre expérimental. Le président a complètement négligé l’opinion publique, alors que les derniers sondages montraient que 85 % des Français étaient favorables au contrôle vidéo dans les abattoirs. C’est incompréhensible.
Un certain nombre d’abattoirs se sont finalement équipés de caméras pour pouvoir approvisionner les supermarchés anglais qui n’acceptent pas la viande si l’établissement n’est pas équipé du contrôle vidéo. Mais jusqu’ici l’argument qu’avançaient les patrons d’abattoirs était que leurs employés n’étaient pas d’accord. Alors que, quand on constate les cadences dans lesquelles les ouvriers travaillent, on voit bien que le bien-être des salariés n’est pas non plus leur priorité.
Quand on parle de bien-être des animaux dans les abattoirs, évidemment on se raconte une grosse blague, mais quand on parle du bien-être des ouvriers aussi ! D’ailleurs Mauricio, un ancien salarié de l’abattoir de Limoges, a tourné lui-même avec son téléphone des images de vaches gestantes qui se font abattre et nous a contactés pour nous proposer de les diffuser parce qu’il était profondément choqué [son témoignage est présent dans le livre, ndlr]. Des alertes comme celle-là, on en reçoit toutes les semaines. Par exemple, de la part d’intérimaires qui ont travaillé quelques jours en abattoir et qui en repartent scandalisés par ce qui se passe à l’intérieur.
Dans le livre vous faites un tour assez complet de l’ensemble du système : vous parlez de l’élevage, de l’abattage, des conditions de travail des salariés, des conséquences sur l’environnement et sur la santé… Mais vous n’abordez pas du tout la problématique de l’industrie du cuir ou des tests effectués sur les animaux. Pourquoi ?
Cela a été un parti pris de se concentrer sur ce que l’on estime être le levier le plus puissant que nous avons à notre disposition, c’est-à-dire l’alimentation. Aujourd’hui, si on diminue notre consommation de viande et de produits laitiers, on va avoir un effet très fort. Souvent, on a l’impression que nos actes individuels ne servent à rien, mais dans le cas de la consommation de produits animaux on a un vrai levier. Quand on parle de la guerre en Syrie, on ne sait pas quoi faire à part soutenir les associations qui luttent pour aider les populations là-bas. Sur la question animale, on peut choisir d’agir individuellement très facilement. Mais on peut aussi agir collectivement, et on sera beaucoup plus forts.
Comment se traduirait l’arrêt de l’élevage intensif ?
Des études montrent que si nous allions vers une agriculture à 50 % végane, on gagnerait 51 % des surfaces aujourd’hui dédiées à l’agriculture pour en faire des cultures maraîchères et céréalières. On pourrait même monter à 76 % dans le cas d’une agriculture 100 % végane. Ce qui permettrait de nourrir tout le monde alors qu’aujourd’hui, on a encore 800 millions de personnes qui meurent de faim chaque année.
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On aurait également 36 % d’émission de gaz à effet de serre en moins. Au niveau de la santé, on sait les risques que comporte l’élevage intensif. Le confinement des animaux fait que les éleveurs doivent leur donner massivement des antibiotiques pour éviter la prolifération des bactéries. Finalement, les bactéries deviennent résistantes à ces antibios. Dans notre première enquête sur les lapins en 2008, on avait découvert qu’ils ingéraient des antibios de quatrième et cinquième générations dont on ne se sert pour les humains qu’en dernier recours. Cela veut dire que si on continue comme ça, dans quelque temps, on mourra de maladies qu’on sait aujourd’hui soigner parce que nos antibiotiques ne marcheront plus.
Une étude du centre européen de prévention des maladies montre que d’ici à 2050, l’antibiorésistance pourrait être responsable de la mort de dix millions de personnes par an. Après, on peut continuer le débat sur la légitimité de continuer à tuer des animaux pour les manger alors que l’on n’en a plus besoin. Mais aujourd’hui, la priorité, c’est de mettre un frein à cette surproduction de produits animaux. Cela implique aussi pour les consommateurs d’en réduire drastiquement leur consommation.
Quand la faim ne justifie plus les moyens, manifeste de L214, éd. LLL, 240p., 14,80 €