Un divorce de grands-parents dérègle une famille qui se croyait indestructible. Une comédie dramatique tout en finesse qui confirme le talent d’un jeune auteur chilien.
Le Chilien Cristián Jiménez, pour son troisième film après Ilusiones ópticas (2009) et Bonsái (2011), poursuit sa trajectoire dans une forme de comédie teintée de mélancolie qui aurait tout pour roupiller mais s’avère pourtant très enthousiasmante.
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On y suit une famille de quatre générations, parcourue de diverses tensions et néanmoins fusionnelle : une vieille arrière-grand-mère, sa fille et son gendre, leurs deux filles trentenaires et trois enfants – une famille qui ressemble surtout à une dynastie de femmes, et où une certaine organisation matriarcale fait discrètement loi.
Une écriture aux accents variés
Le grand-père assez falot serait presque de trop, et justement : approchant de la soixantaine, il décide – en prétendant lâchement s’inspirer du choix de sa fille récemment divorcée – de quitter sa femme, rompant brutalement un tissu familial que tous tenaient pour indestructible.
A partir de ce bouleversement initial, en arrière-fond duquel une multitude de sous-intrigues viennent épaissir le récit et compliquer l’équation, Cristián Jiménez déploie une écriture aux accents variés, ici très légère et à la limite du gag, là bien plus dramatique, ou encore tout à coup soucieuse de vraisemblance et de naturalisme.
Une comédie qui n’empeste pas la volonté acharnée de faire rire
Une façon pour le film d’essaimer les tons selon l’humeur, en formant pourtant un tout fluide et harmonieux : une très belle sérénité enveloppe Voix off, qui appartient de toute évidence à la comédie (par son goût pour la situation incongrue, ses répliques savoureusement piquantes dispersées ici et là) mais n’empeste pas pour autant la volonté acharnée de faire rire et donne aussi beaucoup de place à l’ordinaire et au quotidien, à travers des scènes en apparence accessoires, parfois même sans paroles, entremêlées les unes aux autres (le montage est particulièrement sophistiqué).
Les sœurs y sont aussi complices que rivales, des rumeurs compromettantes circulent sur les infidélités du grand-père, la fille aînée approche de la puberté, la grand-mère plonge dans la dépression et pourtant tout tient : ici, c’est curieusement le chaos familial qui agit comme une force de maintien et d’équilibre.
Un millefeuille jamais bourratif
On entendra sûrement dire du film, comme on aime étrangement le dire d’une bonne moitié des films hispanophones, qu’il est “haut en couleur”. C’est à peu près vrai au premier degré (palette de mi-saison juste assez ternie pour éviter le cliché du cinéma latino rouge pétant), mais cela sous-entend une truculence voire un goût pour la gueulante absolument étrangers à Voix off, anti-Festen qui n’aime pas vraiment jouer avec le risque d’explosion de la famille et envisage plutôt les tensions, les disputes, le va-et-vient des intrigues comme une façon de faire circuler le sang dans l’organisme.
Le jeu de communications et d’incommunications qui agite chaque scène est même le véritable sujet du film, qui s’amuse très souvent à mettre en compétition deux versions d’une histoire (on dit du grand-père qu’il est un coureur de jupons, mais faut-il croire les on-dit ?), deux façons de s’adresser la parole (l’arrière-grand-mère et l’arrière-petite-fille communiquent beaucoup plus richement via Skype que de vive voix, alors que ceux des générations intermédiaires se montrent très maladroits ou réticents envers tous les moyens de communication connectés), deux langues (Niels Schneider, en conjoint français d’une des deux filles, baragouine l’espagnol et travaille à faire éditer des classiques littéraires en langue mapuche).
Mais au fond, la réussite de Voix off tient à sa richesse : un généreux millefeuille d’enjeux, de trames, de registres, de personnages, qui n’est pourtant jamais bourratif tant Jiménez s’applique à bien équilibrer les doses.
Il y a dans son film la légèreté, le raffinement, la justesse d’un émule de Sundance (dans le bon sens du terme) et la confirmation d’un auteur dont la subtilité s’exprime par le détail : un millier d’infimes ornements de jeu, de rythme, de dialogue auxquels le texte peut difficilement rendre honneur. Le plus simple est encore d’aller voir le film.
Voix off de Cristián Jiménez (Chili., Fr., 2014, 1 h 36)
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