L’essayiste et romancière a passé plusieurs années à recenser les textes littéraires rendant compte de la drogue. “Ecrits stupéfiants” est une somme monumentale et passionnante.
Quel est le rapport entre écrivains (et écriture) et drogues ?
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Il est aussi important qu’étroit si j’en juge par le grand nombre d’écrivains qui ont expérimenté, consommé des drogues ou écrit sous leur influence et à leur propos, que ce soit pour les célébrer, les analyser ou les condamner. Pourquoi ? C’est une vaste question qui concerne toute l’humanité mais que les écrivains ont empoigné à bras-le-corps avec moins d’hypocrisie et plus de curiosité.
Sans doute furent-ils moins soucieux que d’autres de la morale publique quand la consommation de substances psychotropes a été socialement réprimée à partir du début du XXe siècle tandis que leur bohème liée au souci de se singulariser a fait le reste ? Que l’usage soit médical ou récréatif, on se drogue toujours pour s’augmenter : en sensations, en puissance, en connaissance et en conscience.
De Homère à nos jours, comment ce rapport a-t-il évolué et quelles drogues sont-elles prises ?
L’origine de l’exploration littéraire de l’imaginaire des drogues ne date que de la fin du XVIIIe siècle avec Coleridge et De Quincey. Avant cela, les auteurs de l’Antiquité, du Moyen Age et de la Renaissance ayant eu recours à des potions pharmaceutiques contenant de l’opium et d’autres plantes le faisaient pour des raisons purement thérapeutiques.
Comme pour tout un chacun, le rapport des écrivains aux drogues évolue en fonction des motivations personnelles, des circonstances historiques, des contextes géographiques, des inventions de substances mais aussi des modes. Voyageant au Maghreb après la colonisation de l’Algérie, il est logique que les Romantiques soient curieux du cannabis. Pareil pour Pierre Loti ou Malraux qui ont découvert l’opium en Indochine, tout comme divers militaires et fonctionnaires français devenus là-bas “auteurs” en écrivant à son sujet.
Voyageant au Maghreb après la colonisation de l’Algérie, il est logique que les Romantiques soient curieux du cannabis
Même chose pour les principaux représentants de la Beat Generation qui ont eu l’opportunité de consommer du peyotl et certains champignons à cause de leur voisinage avec le Mexique – ce qui n’est pas le cas des écrivains européens. Il faut aussi noter que l’usage des psychostimulants qui commence avec l’addiction de Balzac au café intéresse directement l’écriture puisque la cocaïne et surtout les amphétamines permettent d’écrire beaucoup, longtemps et sans fatigue, comme l’ont montré Kerouac et Sartre.
>> Lire aussi “Ecrits stupéfiants”, l’exaltante anthologie de Cécile Guilbert
Quelles sont les plus grandes figures d’écrivains prenant de la drogue ?
Tout dépend de ce que recouvre ce terme. On peut être un grand consommateur sans être un grand écrivain ou un usager occasionnel de hasch comme Baudelaire ou Théophile Gautier et laisser des textes fondateurs. Hormis l’immense figure séminale du subtil De Quincey, il y a les grands toxicomanes comme Burroughs et Klaus Mann, les grands toxicophiles comme Ginsberg et les grands expérimentateurs comme Benjamin, Jünger, Huxley et Michaux qui n’étaient nullement “drogués”.
Notons aussi les cas du grand poète Georg Trackl, drogué jusqu’à l’os qui n’a jamais écrit une ligne à ce sujet, et de Witkiewicz et Crowley, grands expérimentateurs et grands drogués.
Ecrits stupéfiants, Drogues & littérature d’Homère à Will Self, Robert Laffont/Bouquins, 1440 pages, 32 €.
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