Boots Riley n’est pas seulement rappeur et réalisateur (de l’excellent Sorry to Bother You), il est aussi un féroce critique de films sur Twitter. Après avoir accusé Spike Lee de mentir sur la vraie nature de son héros Ron Stallworth dans BlacKkKlansman, il s’en est pris ces jours-ci à Quentin Tarantino, l’accusant d’avoir, dans Once upon a Time… in Hollywood, négligé la dimension raciste des crimes de Manson.
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Si l’on peut débattre de l’importance, ou non, de la véracité historique dans une fiction, a fortiori quand celle-ci se présente comme volontiers révisionniste, on ne peut que donner raison à Riley sur ce fait : Tarantino ne s’intéresse pas une seule seconde à l’idéologie de la Manson Family.
Il ne ment pas non plus, il omet simplement cet aspect, de même qu’il néglige la figure de Manson, présent dans une seule scène : le gourou en maraude devant le 10050 Cielo Drive demande à Jay Sebring si c’est bien là que vivent Brian et Dennis Wilson des Beach Boys (coupables de l’avoir éconduit), et l’ancien amant de Sharon Tate de lui répondre, sèchement, que c’est désormais “la maison Polanski”.
Home sweet home
Cette scène, a priori anodine, se révèle pourtant primordiale. Car s’y dévoile le point nodal du film, l’endroit d’où partent ses lignes de démarcation, et où sa morale s’engouffre : la maison. Il y a ceux qui en ont une, et ceux qui n’en ont pas. Et ça change tout.
Il faut d’abord voir avec quelle minutie Tarantino détaille la routine ménagère de chaque personnage (se confectionner un whisky sour, ouvrir une boîte de pâté pour chien, etc.), à une époque où la télévision, envahissante, termine son œuvre de domestication des hommes, des rêves, et bien sûr d’Hollywood. C’est cela, avant toute chose, que raconte Once upon a Time… in Hollywood, et pas, il est vrai, les luttes pour les droits civiques de son époque (ou de la nôtre).
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Chacun se définit ici par son rapport au foyer. Manson et ses sbires sont d’abord des sans-maison, dont le premier crime sera de squatter celle d’un autre (le Spahn Ranch), avant de commettre l’irréparable : violer la propriété de Rick Dalton (à défaut d’une autre).
Ce dernier annonce de son côté la couleur, lorsqu’on le voit entrer pour la première fois chez lui : s’il a acheté de la pierre, c’est pour faire partie d’Hollywood, pour montrer qu’il n’est pas de passage. Pas comme ses voisins, les Polanski-Tate, simples “locataires” – que ce soit le titre d’un fameux film du cinéaste polonais n’est que pure coïncidence, et qui sont pourtant “the hottest people in town”, véritable machine à fantasmes comme peuvent l’être les étrangers flamboyants.
Cliff Booth ne possède qu’une caravane miteuse, reléguée dans les bas-fonds, derrière l’écran de cinéma d’un drive-in
Et puis, il y a Cliff Booth. Lui ne possède qu’une caravane miteuse, plantée dans les faubourgs de la Valley, reléguée dans les bas-fonds, derrière l’écran de cinéma d’un drive-in (quelle idée). Dans cet inframonde où il évolue désormais, loin des spotlights, il croise la route de hippies qui l’imaginent d’abord des leurs mais réalisent, déçus, qu’il a choisi l’autre camp, celui des propriétaires, des capitalistes.
Et c’est bien là sa tragédie : défendre ce qu’il n’a pas (ou plus), par loyauté envers son maitre. Maître qui le gratifiera, après l’avoir gentiment congédié, d’une accolade (“You’re a good friend, Cliff”), et qui rejoindra le domaine des anges, invité par une voix céleste (ce fameux sublime plan aérien). Rick est in, Cliff est out : c’est donc sur une fin cruelle autant qu’enchanteresse, rêveuse aussi bien que lucide, que nous laisse Tarantino – une fin de conte.
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