Un éblouissant monologue sur des « personnages broyés par le système capitaliste ».
Il en faut du souffle pour tenir ce long monologue débité à la vitesse d’une fusée intergalactique. A croire que cet homme cherche à rattraper la chienne Laïka lancée en orbite autour de la Terre dans le vaisseau spatial Spoutnik 2 le 3 novembre 1957… et qui n’en est jamais revenue. Mais non, ce n’est pas ça le fond du problème, le nœud du soliloque de ce personnage imaginé par Ascanio Celestini, installé au bar pour vider son cœur et dont le discours tient à la fois de Jésus, de Karl Marx ou de Zola.
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On avait découvert Celestini, auteur, acteur et metteur en scène italien, au théâtre du Rond-Point avec Discours à la nation en 2015 où il pourfendait la morgue des cyniques et du capitalisme. Avec, déjà, David Murgia comme interprète. En 2017, Celestini jouait lui-même tous les personnages de sa famille dans Dépaysement, du théâtre-récit haut en couleurs où l’humour se révèle l’ultime délicatesse pour évoquer le quotidien de gens de peu.
Le début d’une trilogie des bars
A écouter David Murgia dans Laïka, on pourrait croire à une suite possible de cette galerie de portraits, campés avec une tendresse corrosive que l’acteur restitue avec fougue. Mais ce n’est pas tout à fait ça non plus. Laïka est le début d’une trilogie des bars, lieu idéal pour suivre le quotidien “de personnages broyés par le système capitaliste”.
De ce pauvre diable à la langue bien pendue, on sait qu’il vit en coloc avec Pierre, joué par Maurice Blanchy qui fait parler son accordéon et confie, en voix off, ses remarques à la voix de Yolande Moreau.
Assis sur des caisses en plastique de bouteilles, il se tait et joue pour ménager des pauses à David Murgia, impressionnant d’énergie dans son grand déballage des heurts et malheurs d’une petite communauté peuplée d’un clochard qui fut manutentionnaire, d’une vieille dame très occupée, d’une autre embrouillée par les ravages de l’Alzheimer, d’une prostituée et de la grève menée par des manutentionnaires africains dans l’entrepôt voisin.
« Hier Nicole Kidman m’a appelé »
Ça n’a l’air de rien, mais ça nous emmène loin et à parler de tout. De Dieu, de Stephen Hawking, de la sainteté et du big bang, de l’épuisement au travail et de son antidote : la puissance de l’imagination. Alors, entre deux déchargements de palettes, les manutentionnaires désertent le réel :
“Vu qu’une vie imaginée vaut autant qu’une vie vraie, (avec le temps quelqu’un a inventé un système ingénieux dans la camionnette rouge. Quelqu’un a dit : une vie vaut l’autre. Pourquoi raconter ta vie si elle est dégueulasse ? Racontes-en une autre. Une imaginée vaut autant qu’une vie vraie). Qu’est-ce que tu as fait hier ? Hier Nicole Kidman m’a appelé…”
Au final, tout ce petit monde finit par se croiser, le quartier n’est pas bien grand et il y aura même un miracle pour finir. Mais ça, on vous laisse le découvrir…
Laïka Texte et mise en scène Ascanio Celestini, avec David Murgia, accordéon Maurice Blanchy, jusqu’au 10 novembre, Théâtre du Rond-Point, Paris VIIIe
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