Dans le milieu des diamantaires anversois, une histoire de vengeance stylisée en film noir. Un premier film original et fiévreux.
« Ce qui fait la différence, c’est l’œil”, explique Rick (Jos Verbist), diamantaire arty d’Anvers, à son fougueux disciple, Pier (Niels Schneider, très convaincant dans un registre de petite frappe hallucinée, cheveux gominés et mâchoire serrée), venu le voir pour assouvir une vengeance familiale autant qu’une sincère curiosité.
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Tout est dans l’œil en effet, au cinéma comme dans la taille du diamant, et Arthur Harari ne va cesser, dans son premier long métrage, de filer la métaphore : laissé à l’état brut, le réel n’a aucun sens, pas plus que n’en a la lumière dans une pierre non facettée.
Pour Harari, il faut délirer le réel
Il s’agit donc de façonner ce réel (le B.A.BA de la mise en scène), mais pas seulement ; pour Harari, dont l’ambition détonne dans le jeune cinéma français – non pas que celui-ci en manque, comme on l’entend parfois, mais elle est rarement portée à cet endroit-là –, il faut délirer le réel. C’est la condition sine qua non pour en apercevoir l’éclat plutôt que l’ombre.
Pour ceux qui ont eu la chance de voir les trois moyens métrages qu’Harari a réalisés au cours de la décennie passée (pour les autres, on espère qu’un éditeur DVD se penchera sans tarder sur ce trésor), Diamant noir est une surprise, dans la mesure où son cinéma naviguait jusqu’ici plutôt près des rives naturalistes – entre les ports Pialat et Renoir, pour le dire vite.
Harari sample De Palma, Verhoeven ou Michael Mann – carrément
Il était pourtant patent que, de film en film, le jeune cinéaste s’en éloignait doucement, l’air de rien, pour teinter son réel d’un onirisme pulsionnel, une forme de dérèglement inattendu venu des tripes, qui l’amène aujourd’hui à sampler Brian De Palma, Paul Verhoeven, ou Michael Mann – carrément.
Diamant noir s’ouvre par une séquence inoubliable, tant pour le spectateur que pour le héros qui lui la délire, précisément, et qui ne s’accordera de repos qu’une fois soignée la blessure occasionnée par ce trop brillant éclat de réel. Débutant par un œil fermé et néanmoins agité, c’est une courte scène d’horreur, irréaliste, digne d’un giallo, avec ses couleurs saturées, ses gerbes de sang, son disque de métal qui tourne comme un vinyle fou, et ses effluves morriconiens.
Canevas classique, travail de possédé
Elle figure l’amputation accidentelle du père de Pier, dans un passé lointain et fantasmé (c’est important), valant comme mise à mort symbolique dans le milieu qui est le sien, celui des tailleurs de diamants d’Anvers. Lorsque l’œil s’ouvre enfin, il est malade, enflammé, au propre comme au figuré.
Le fils, devenu cambrioleur en France auprès d’un père d’adoption aussi doux qu’inquiétant (Abdel Hafed Benotman, écrivain décédé après le tournage, auquel le film est dédié), est hanté par cette histoire qu’on se refile comme un virus. Après la mort, bien réelle, du daron déchu, il va alors chercher vengeance auprès de cette famille belge qu’il ne connaît pas.
Ce canevas classique de tragédie shakespearienne rapiécé de film noir, Harari va le travailler le moins scolairement possible : comme un possédé. Tout ici, de la mise en scène à la direction d’acteurs, des décors à la photographie (signée Tom Harari, frère d’Arthur, à contre-courant de son style naturaliste habituel chez Katell Quillévéré ou Guillaume Brac), brûle d’une fièvre incontrôlable.
Cerveaux en ébullition, corps qui vrillent
Le film regorge de fantasmes, qu’ils soient sexuels (l’attirance de Pier pour sa belle-sœur, l’incendiaire Raphaële Godin, quoique son personnage soit un peu trop théorique, une des rares faiblesses du film) ou purement intellectuels (les plans élaborés par Pier pour braquer l’atelier).
Lorsque les cerveaux ne sont pas en ébullition, ce sont les corps qui vrillent, tel celui du cousin épileptique (très bon August Diehl, vu jadis en nazi cinéphile chez Tarantino). La caméra elle-même, avec ses zooms intempestifs, semble parfois prise de convulsions.
Le film bascule ainsi peu à peu dans le cauchemar éveillé, et seule la pulsion de vue reste capable de tracer son chemin dans cet incroyable Diamant noir taillé par Arthur Harari.
Diamant noir d’Arthur Harari, (Fr., Bel., 2016, 1 h 55)
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