Inauguration d’une approche plus directe des œuvres avec pour ambition que les artistes soient appréciés pour eux-mêmes.
Une grande partie du monde de l’art souffre d’une même affliction. L’esprit se sent brumeux, le corps se traîne, la bouche lance un “pfff ». Les anglophones ont un nom pour ce mal (à dire avec l’accent) : “biennale fatigue”. Depuis quelques années, les super événements n’ont plus la cote. Biennale, triennale, documenta et leurs consœurs ne parviennent plus à susciter l’engouement.
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Le plaisir de la rencontre s’est éteint, et avec lui l’émotion ressentie face à une œuvre qui nous dépasse ou nous dérange, nous transperce ou nous enveloppe. A force d’emmailloter les œuvres dans des couches de concepts comme de vulgaires fruits de supermarché sous cellophane, tout le monde a fini par étouffer.
L’art, ça devrait pourtant être simple : physique et immédiat. Cette rentrée, deux biennales en prennent la mesure, en rejetant autant que possible l’approche thématique : la 33e Biennale de São Paulo, placée sous le thème des “affinités affectives” (jusqu’au 9 décembre 2018) et, plus près de nous, la 6e édition des Ateliers de Rennes – Biennale d’art contemporain.
On en ressort lessivés, peu habitués à donner autant de nous
A Rennes, les œuvres respirent. La plupart des grands événements organisent sciemment leur matière autour de quelques pièces phare, et se laissent trop aisément résumer par l’un de ces top 5 désormais devenus monnaie courante.
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Ici, une telle sélection serait difficile, ou alors éminemment subjective. Chacune de ces œuvres exige une attention exclusive. Au point qu’on en ressort lessivés, peu habitués à donner autant de nous. Sans chronologie, sans restrictions de géographie ou de médium, la moitié des propositions sont des commandes produites pour l’occasion. Le reste, des pièces historiques d’artistes trop peu valorisés ou au contraire des pièces fortes de jeunes artistes étrangers pas encore montrées en France.
La Halle de la Courrouze, où a lieu la Biennale, est l’un des exemples les plus réussis de ce savant dosage. Dix artistes s’y côtoient et s’en trouvent bien. L’entrée dans l’espace est placée sous un double patronage : Julien Creuzet, beaucoup vu ces derniers temps (à Bétonsalon, centre d’art et de recherche à Paris, ou aux Rencontres d’Arles) et Richard Baquié, figure tutélaire du Marseille de la fin des années 1980.
Deux jeunes françaises ou un Brésilien issu de la diaspora japonaise
Plus loin, on s’immerge dans un film de John Akomfrah, dont vient de s’achever la rétrospective au New Museum à New York, membre dans les années 1980 du Black Audio Film Collective.
Deux jeunes Françaises présentent les nouveaux épisodes d’une recherche en cours (Julie Béna, engagée dans une série de films autofictionnels) ou leur version augmentée (Anne Le Troter, actuellement sélectionnée au 20e prix Fondation d’entreprise Ricard à Paris).
Et l’on découvre Kenzi Shiokava, Brésilien né en 1938 issu de la diaspora japonaise et figure de la communauté artistique du quartier afro-américain de Watts, à Los Angeles, qui émerge dans le contexte de la rébellion de 1965.
Sur le papier, l’énumération paraît bien plate. C’est cependant la seule manière de faire justice à ce patchwork aussi divers que l’est une époque complexe, tiraillée entre les préoccupations écologiques, les nouveaux codes amoureux, la persistance des inégalités raciales, l’uniformisation des modes de vie sous le rouleau compresseur capitaliste.
Une Biennale qui gagne en ambition internationale
Les œuvres croisent au moins deux de ces éclairages, quand on ne les retrouve pas tous. En témoignent sous une forme condensée les trois présentations solo de Meriem Bennani, Paul Maheke et Pauline Boudry & Renate Lorenz, respectivement à La Criée, à la galerie Art & Essai et à 40mcube.
“Nous sommes partis d’envies d’artistes. Ensuite, les rapprochements sont nés des conversations qu’ils ont pu avoir entre eux avant l’exposition, lors de l’assemblée que nous avons organisée fin mai afin de les réunir”, raconte Etienne Bernard, cocommissaire avec Céline Kopp d’une Biennale de Rennes qui gagne en ambition internationale.
Deux autres présentations collectives au Frac Bretagne et au musée des Beaux-Arts prolongent la dynamique de la Halle de la Courrouze, peut-être un peu moins fortes du point de vue de l’accrochage. Au Frac, on retrouve notamment l’excellente vidéo IT’S IN THE GAME’17 or Mirror Gag for Vitrine and Projection (2017) de la toute jeune Sondra Perry, également incluse à la 10e Biennale de Berlin cet été.
Dans le cadre de cette dernière, hyper politisée et bourrée de ressentiment, elle apparaissait comme la caution jeune et tech. Ici, et c’est un symptôme, on la regarde enfin pour elle -même.
Les Ateliers de Rennes – Biennale d’art contemporain A cris ouverts, jusqu’au 2 décembre
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