Oubliez le trop classique tikka masala : le Curry Mile, célèbre rue de Manchester dédiée à la cuisine indienne et pakistanaise, se réinvente à travers la street food et la tendance vegan pour séduire les nouvelles générations.
Pas l’ombre d’un fish and chips sur la carte du restaurant le plus populaire du Royaume-Uni. Le grand lauréat du classement Yelp de 2016 est Dishoom, chaîne de restaurants haut de gamme reprenant le concept des “Bombay Cafés”, établissements irano-indiens populaires dans l’Asie du Sud.
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La nourriture indienne fait partie intégrante des habitudes alimentaires britanniques depuis les débuts du Commonwealth. Encore aujourd’hui, dans tout pub qui se respecte, le consommateur peut choisir d’éponger ses bières avec un classique curry tikka masala (généralement raccourci en CTK), plat signature aux côtés d’un steak and ale pie(tourte à la viande) et de bangers and mash (saucisses-purée).
A l’origine, une main-d’œuvre pour les usines textiles
Pour un vrai bon curry typique, il faut remonter vers le nord du pays, là où les populations indienne et pakistanaise se sont installées en masse dans les années 1960. “La plupart sont venus pour remplir un besoin de main-d’œuvre industrielle dans le nord-ouest du pays, notamment dans le textile”, explique Parvati Raghuram, professeur de géographie et de migration à l’Open University.
Les membres de la communauté Mirpuri, arrivés au Royaume-Uni suite à d’importantes inondations au Pakistan dues à la construction du barrage de Mangla, ont ouvert les premiers restaurants dits “baltis” à Birmingham. A Manchester, ville connue pour son industrie textile développée, c’est un mélange d’Indiens du Punjab, de Pakistanais et de Bangladais qui investit la ville de briques rouges.
C’est sur Wilmslow Road, renommée “Curry Mile”, que s’installent les curry houses historiques du coin
Parmi cette vague d’immigration, des docteurs, des étudiants, des ouvriers, des petits commerçants et des restaurateurs. Ces derniers investissent massivement une rue perdue au sud de la ville : c’est sur Wilmslow Road, renommée “Curry Mile”, que s’installent les curry houses historiques du coin. La plus ancienne, en service depuis 1963, se nomme Sanam.
La rue connaît son apogée dans les années 1980, on y trouve les plats sud-asiatiques les plus authentiques, parmi lesquels le même karahi qu’à la maison, loin des itérations fast-food du centre-ville. “S’il n’est pas servi dans une casserole en fonte, ce n’est pas un vrai karahi”, tranche Amer, 35 ans, sur ce plat à base d’agneau ou de poulet mijoté avec cinq sortes d’épices dans du yaourt et de la sauce tomate, dont le nom se dit “wok” en hindou.
Restaurants, librairies et épiceries
La famille d’Amer – une lignée de cuisiniers – est issue de Lahore, au Pakistan, et s’est installée à Manchester dans les années 1970. “Il y a quinze ou vingt ans, le Curry Mile c’était là où on allait pour de la nourriture de qualité, mais aussi pour les libraires et les épiciers qui vendaient les choses de chez nous. C’était un endroit où on pouvait se poser entre amis.”
Le Curry Mile prend vie à la tombée de la nuit, avec deux pics d’activité : un premier entre 19 h et 21 h, et un deuxième après 2 h du matin, quand les étudiants sortent de boîte et ont une fringale de plats en sauce. Dans les années 2000, les devantures criardes étaient en forte compétition, démarchant même les clients dans la rue.
Cette époque est révolue : “Il n’y a plus assez de restaurants pour cela maintenant, déplore Haz Arshad, fils du fondateur du restaurant Mughli, situé au numéro 30, dans un article du Manchester Evening News intitulé “Le Curry Mile peut-il retrouver sa gloire d’antan ?” Rien que depuis 2005, dix enseignes ont fermé sur Wilmslow Road, remplacées par des bars à shisha et des restaurants turcs, en raison de loyers devenus trop élevés.
Le boom de la street food
Pour survivre, la cuisine indienne typique doit se réinventer. A la carte de Mughli, restaurant connu pour sa cuisson au charbon de bois, figure un large choix de plats végétariens et vegan. Parmi eux, le pau badhji, deux tranches de pain brioché qui accompagnent un riche mélange de légumes servi dans une sauce au beurre, cumin, gingembre, piment vert et safran.
“Quand j’ai commencé au restaurant, les gens ne connaissaient même pas la moitié des choses que l’on mangeait chez nous, rapporte Perri Aman, dont la famille a ouvert le restaurant Shere Khan en 1987, au Manchester Evening News. Maintenant, ils en savent plus que moi. Les palais ont changé.” En cause, le boom de la street food, gros canal de diffusion de spécialités étrangères retravaillées pour séduire un public plus jeune et en recherche constante de nouveauté.
“La nourriture indienne a été adaptée aux goûts locaux et n’était pas très authentique. Mais les Anglais deviennent désormais un peu plus aventureux”
Le restaurant Bundobust l’a bien compris. Pur produit du nord de l’Angleterre – deux restaurants, à Manchester et à Leeds, ouverts par Mark Husak et Mayur Patel, natifs de la région –, le restau allie de la street food typique de l’Inde et du Pakistan, basée sur des recettes de la mère de Mayur, à une sélection de bières artisanales, brassées sur place. “La nourriture indienne au Royaume-Uni a été adaptée aux goûts locaux et n’était pas très authentique, estime Mark, cofondateur du restaurant. Je pense que les Anglais deviennent désormais un peu plus aventureux.”
La carte séduit par ses associations modernes : le paneer, fromage indien,est passé au barbecue et enfilé sur des brochettes, accompagné de poivrons et de champignons rôtis. Ici, pas de frites classiques, mais des ladies fingers (“doigts de dames”), tranches de gombo frites. Mention spéciale au chole bathura, ragoût de pois chiches cuits dans une sauce fragrante à l’oignon et aux tomates, servi avec une galette dorée – sublime même si très épicé. Tout est végétarien, avec de nombreuses options sans gluten, autre point de séduction important pour attirer la clientèle millenial. Inutile de préciser que tout est très instagrammable.
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