Le cinéaste confirme qu’il est un grand espoir du cinéma avec ce récit d’un éden au bord de la chute.
Déclinaison cinématographique d’un projet artistique multi‑supports – puisqu’en plus de ce moyen métrage, Braguino est aussi une installation à voir au BAL à Paris, un livre et une création radiophonique –, ce petit chef-d’œuvre confirme le talent du réalisateur de Ni le ciel, ni la terre (2015).
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
En la maigre compagnie d’une traductrice et de son chef opérateur, il s’est rendu en Sibérie pour filmer une communauté dirigée par Sacha Braguine, fondateur du village de Braguino. Si son premier long métrage lorgnait du côté d’Antonioni et Weerasethakul, le cadre, la portée métaphysique et l’inquiétante étrangeté de celui-ci rappellent Le Miroir de Tarkovski (1975). Ayant comme le génie russe recours à une narration fragmentée et utilisant comme lui ces enfants à la blondeur slave comme support aux angoisses des adultes, il parvient à nous projeter dans un récit d’une splendeur plastique inouïe.
Mais la virtuosité pourrait tourner à la vaine démonstration si Braguino n’échappait pas à son arsenal d’effets sonores et visuels en assouplissant son esthétique à l’aide d’un dispositif documentaire ouvert à l’imprévu et doté d’une dimension quasi ethnographique. A partir d’une captation du quotidien de la famille Braguine, il va construire une parabole se présentant sous la forme d’une lumineuse puis sinistre élégie. Alors qu’il dresse le portrait d’un territoire édénique où la tribu humaine domine la nature avec sagesse et vit en autarcie près d’une rivière et d’une forêt – un idéal qui rappelle Thoreau –, Cogitore en annonce déjà la chute.
La radicalité de son geste se situe dans cette extrême compression entre un état primitif du monde et son imminente apocalypse. Car à côté vivent les Kiline, une autre famille qui conteste aux Braguine la propriété du terrain et commerce avec les braconniers venus des zones urbanisées pour massacrer la faune de la taïga. A travers une séquence où le réalisateur filme les enfants des deux clans en train de jouer, on voit s’enclencher le processus de la fabrication de l’ennemi, une guerre larvée dont l’issue ne peut être que la destruction.
La parabole prend alors un accent biblique. On pense à Abel et Caïn, au péché originel, à Babel et à l’innocence perdue. De ce monde devenu trop étroit pour contenir l’utopie, Clément Cogitore tire une fable sombre, un regard d’une sidérante acuité sur le contemporain.
Braguino de Clément Cogitore (Fr., 2017, 50 min)
{"type":"Banniere-Basse"}