Marsha P. Johnson était dragqueen. Elle participa aux émeutes de Stonewall, considérées comme l’acte fondateur du militantisme LGBT. Elle fut pendant plus de vingt ans une figure du gay Village new-yorkais. Son corps fut retrouvé dans l’Hudson river. La police conclut à un suicide. Un documentaire, diffusé sur Netflix, « The death and life of Marsha P Johnson », s’articule autour d’une contre-enquête supposant au contraire qu’elle fut assassine. Et retrace au passage son itinéraire plein de panache et poignant
Le 6 juillet 1992 à New York, le corps sans vie de Marsha P. Johnson, témoin et actrice majeure des révoltes de Stonewall qui ont donné naissance au mouvement LGBT américain, icône trans et drag queen, est retrouvé flottant dans l’Hudson River. Le documentaire de David France produit par Netflix, The Death and Life of Marsha P. Johnson revient sur cette mort dont les circonstances sont restées mystérieuses. La police avait conclu au suicide et le dossier avait été classé sans suite alors que ses proches et sa communauté continuent de croire à l’acte criminel. The Death and Life of Marsha P. Johnson s’intéresse à la contre-enquête menée par Victoria Cruz, activiste transgenre sur le point de prendre sa retraite et qui s’est donnée pour dernière mission de découvrir la vérité sur la mort de celle qu’on appelait « la maire de Christopher Street ».
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Ces dernières années plusieurs films se sont penchés sur la figure de Marsha P. Johnson. Pay it No Mind de Michael Kasino, Happy Birthday Marsha! de Reina Gossett et Sasha Wortzel et plus récemment (et à un niveau plus grand public) Stonewall de Roland Emmerich revenaient sur celle dont le visage a été immortalisé par Andy Warhol. Les documentaires cités sont pleins de photos et de vidéos d’archives. Elle était drag queen, se donnait en spectacle et vivait publiquement son identité. Travailleuse du sexe et souvent sans-abri, les rues de New York étaient son domaine. Son maquillage était outrancier, sa tête toujours ornée de fleurs et sa voix maniérée à souhait. C’était comme si chaque inflexion aiguë de sa voix et chaque couche de rouge à lèvre mal appliquée étaient un affront à ce monde qui voulait qu’elle n’existe pas. Marsha P. Johnson était trans, noire et pauvre, damnée de la terre et “socialement morte”. Sa courte existence aura été en elle-même une révolte.
Rendre justice à toutes les autres
The Death and Life of Marsha P. Johnson se distingue par sa manière de faire résonner l’histoire de Johnson avec le contemporain. Le film commence sur des images d’archives montrant une marche en hommage à Marsha quelques jours après sa mort. S’en suit une discussion se tenant probablement en 2013 et qui a pour sujet l’attaque dont a été victime une jeune femme trans noire, Islan Nettles. La jeune femme mourra de ses blessures peu de temps après. Son tueur, James Dixon écopera d’une peine de douze ans de prison. Nettles avait 21 ans. Victoria Cruz résume alors l’intention derrière la réouverture du dossier de Marsha P. Johnson en une question: “Si on ne peut pas rendre justice à Marsha, comment rendre justice à toutes les autres ?”
Selon Human Rights Campaign, ce sont 21 personnes transgenres ont été tuées depuis le début de l’année 2017. On observe une surreprésentation de femmes trans noires dans les décès. 2016 fut « l’année la plus meurtrière » pour les personnes transgenres aux Etats-Unis avec 27 morts reportées, selon l’organisation non-gouvernementale GLAAD. Cette recrudescence de violence coïncide pourtant avec une plus grande visibilité des personnes transgenres dans les médias. L’avènement de personnalités transgenres comme Laverne Cox ou Caitlyn Jenner qui ont fait respectivement la couverture du Time et de Vanity Fair coexiste avec une transphobie brutale et épidémique. En juillet dernier, le président des Etats-Unis, Donald Trump stigmatisait et remettait en question la présence “perturbatrice” de personnes transgenres dans l’armée dans une série de tweets.
Sainte Marsha
Marsha P. Johnson incarne cette dissonance à elle seule. Les témoignages recueillis dans le documentaire convergent pour dire qu’elle était aimée et presque révérée. L’acteur Agosto Machado qui intervient dans le documentaire la compare à un bodhisattva, “une personne sainte qui marchait dans le village, habillée comme elle le souhaitait”. « Sainte Marsha » était l’un de ses nombreux surnoms qu’on lui donnait. Elle avait tout d’une icône. Le statut de star dont elle bénéficiait grâce à ses performances dans les ballrooms et son activisme de rue dans le microcosme dans lequel elle évoluait n’a pas empêché une vie caractérisée par la précarité ou une mort précoce. Et cette mort trop rapidement classée ne fait que la ramener à ce qu’elle était d’abord aux yeux du monde : un être qui n’avait pas accès aux mêmes droits que le reste de la société civile.
C’est cela même qu’elle essayait de changer. Son activisme partait de sa propre expérience en tant que drag queen, trans, femme noire et pauvre souvent harcelée par la police. Avec Silvia Rivera, autre grande figure radicale illuminée par le documentaire, elles fondèrent Street Transvestite Action Revolutionaries au début des années 70, une organisation révolutionnaire à l’ambition inclusive. STAR était proto-intersectionnelle, désirant combler les failles d’un mouvement gay qui n’avait pas réussi à intégrer les personnes les plus vulnérables (incluant trans, personnes incarcérées, malades, les femmes, les sans-abris) et qui dans sa quête d’intégration s’était éloigné de son projet de transformation de la société. STAR agissait localement en répondant à des problèmes concrets comme le logement, l’accès au soin et la collecte de fonds pour payer les cautions de personnes incarcérées.
En 2015, le film Stonewall avait suscité la controverse pour cause de whitewashing et de révisionnisme quand à une histoire de première brique jetée, qui peut sembler un détail, mais signale le début des émeutes le 27 juin 1969. Si les témoignages divergent sur l’origine de ce geste symbolique, tout porte à dire que Marsha P. Johnson et sa sœur acolyte Silvia Rivera étaient présentes sur les lieux, à l’avant-garde même d’une Histoire en marche.
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