Entre fierté queer, punk et spiritualité, le cinquième album d’Ezra Furman confirme son ultrasensibilité.
“J’ai l’impression que c’est difficile d’être engagé lorsqu’on fait une musique moins fédératrice que la pop ou le hip-hop. Mais tant pis : si une poignée de personnes m’écoutent, j’aurai fait ma part. Et le punk ne mourra jamais.” En ce jour d’été à Paris, Ezra Furman est, comme à son habitude, à la fois enthousiaste et mélancolique, timide et extraverti, optimiste et désespéré. Après une année 2018 bien remplie (à son actif, le superbe Transangelic Exodus et la bande originale de la série Sex Education), il est retourné en studio, à Oakland, et a enregistré Twelve Nudes en quelques jours seulement.
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Contre la primauté du business sur les questions climatiques
De Calm Down AKA I Should Not Be Alone à What Can You Do But Rock’n’Roll en passant par In America ou Trauma, les onze morceaux du disque ne font pas dans la dentelle et renvoient leur dégoût du monde en une durée moyenne de deux minutes, format uppercut. A la production, John Congleton (Anna Calvi, St Vincent), qui a resserré le propos sonore d’un album dont l’intense liberté se devait d’être (parfois) apprivoisée : “Si je regrette que mes albums soient toujours en roue libre, force est de constater qu’ils développent leur propre logique et qu’ils suscitent des émotions. C’est tout ce que je demande.”
Chez Ezra Furman, le punk est viscéral : “C’est le premier genre musical que j’ai aimé. Avant même Lou Reed. Quand j’avais 12 ans, j’ai eu une révélation avec Green Day. Je me suis approprié cette musique mais je n’étais pas certain d’être capable d’écrire des morceaux punks du style ‘fuck everything’… Et puis j’ai découvert la nuance du propos.” D’où l’immédiateté abrupte de Twelve Nudes, qui n’en oublie pas pour autant ses messages politiques.
Furman verse également dans le prosaïque, comme My Teeth Hurt : “J’avais une forte douleur dentaire qui ne faisait qu’empirer, mais je n’avais pas de mutuelle pour aller voir le dentiste. Alors je souffrais en silence. Aux Etats-Unis, quand tu n’as pas de job stable ou d’assurance, personne ne s’occupe de toi.” Outre ce genre d’anecdotes qui en disent long sur un système vicié par l’individualisme, Ezra Furman veut surtout s’élever contre la primauté du business sur les questions climatiques, la solidarité sociale ou l’impunité d’un sexisme ambiant. “L’album est un cri du cœur, pour hurler ce qui ne va pas. C’est pourquoi c’est tellement négatif…”
Sous l’égide de Jay Reatard et Anne Carson
Sans pour autant être dénué de la spiritualité chère à l’artiste, “queer forgé dans le fer, bisexuel au genre non conforme” et juif pratiquant : “La pensée moderne a échoué, surtout en Occident, et je considère quasiment toutes les religions comme une contre-culture, voire une protestation. Le judaïsme en fait partie.” Quitte à se sentir rejeté, pour ensuite mieux se révolter via sa musique.
Deux figures tutélaires traversent Twelve Nudes : le multi-instrumentiste Jay Reatard, mort d’une overdose à 29 ans, et l’auteure Anne Carson. Ici, Furman s’inspire de The Glass Essay, où elle emploie le mot “nudes” pour évoquer ses séances de méditation. “Reatard comme Carson explorent chacun leur douleur avec une folle énergie. J’aime les artistes qui ouvrent des voies. On peut ainsi faire du punk une performance, un roman, une photographie…” Ou un album comme Twelve Nudes, dont les cris de rage fouettent le spectateur à chaque écoute. Et ça fait du bien.
Album Twelve Nudes (Bella Union/PIAS)
Concert Le 19 novembre, Paris (La Maroquinerie)
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