Plutôt que de fêter ses 20 ans d’activités éclectiques, le Tourangeau va de l’avant avec un album groovy, animé par une voix électronique.
Un rythme de batterie, une ligne de basse solide et funky, des percussions, puis arrive une chanteuse qui égrène les noms de musiciennes ou groupes (en partie) féminins, de Tom Tom Club à Laurie Anderson en passant par Gloria Gaynor. Lâché dans la nature fin juin, Girls, pendant féministe du Teachers de Daft Punk et irrésistible machine à danser, a tout eu du tube de l’été underground, ce genre de morceau qui s’invite par surprise en soirée ou dans les playlists. “Quand je regarde ma discothèque ou ce que je lis, explique son auteur Rubin Steiner, il s’agit les trois quarts du temps d’œuvres signées par des femmes. Alors j’ai eu envie de leur rendre hommage.”
Une voix anonyme paraît exprimer ses états d’âme
Cette année, le Français a fêté deux décennies d’activité et réédité en vinyle son album de 2000, Lo-fi Nu Jazz Vol. 2, qui le voyait agencer de remuants morceaux à partir de samples de jazz. Depuis longtemps, il a tourné le dos à cette formule de bricoleur pour fureter là où les genres se frottent les uns aux autres : disco-punk, krautrock, electro dark, etc. Si on devait isoler des constantes dans sa trajectoire, il s’agirait sans doute d’une éthique héritée du punk doublée d’un refus de la virtuosité.
Say Hello to the Dawn of Paradox, il l’a juste conçu avec sa basse, des congas, son ordinateur et l’envie de désacraliser la course au vintage. “Je me retrouve sur Instagram à voir des vidéos de mecs ou nanas tout contents de montrer qu’ils ont 200 000 € de matos chez eux. Leur musique ? Elle est merdique. Ça me rend malade. Les claviers ne sont que des outils ! Il y a vingt ans, je rêvais d’avoir un ordi qui puisse tout faire. Aujourd’hui, c’est le cas, je suis ravi.” Quant à la chanteuse de Girls, elle n’existe que dans son imagination. Son timbre sexy, il l’a en effet emprunté à… Google Traduction.
Dès le premier morceau, aux allures de mise en jambe, Paradox, il joue avec cette voix électronique, lui faisant chanter un slogan pince-sans-rire tel que “Say hello to the industrial liberal fascism” (“Dis bonjour au fascisme industriel libéral”). Plus loin, sur l’aussi troublant qu’entraînant Computer Heartbeat, cette voix anonyme paraît même exprimer ses états d’âme. “Je trouvais ça de bonne guerre d’utiliser la voix de la dame de Google Traduction sachant tout ce que Google nous pompe. Le paradoxe, c’est que l’on a beau être militant de plein de causes, malgré tout on est sur internet, dans une sorte de cercle vicieux où, grosso modo, on dénonce Google sur Google.”
Au-delà de cet acte de détournement, Say Hello… n’a rien d’un brûlot politique. Si on met à part les délicats Paradise et Birds, il s’agit plutôt d’une collection groovy et mouvementée entre techno vénéneuse (Fête, Raga) et punk-funk à la ESG ou DFA Records (Girls). “J’ai beau faire toute la musique du monde, à la fin c’est la danse qui gagne”, résume Rubin Steiner. Avec son faux-ami de titre, Jazz assène le coup de grâce en créant une transe diabolique. Le comble c’est que, même dans les bureaux de Google, on dansera dessus.
Say Hello to the Dawn of Paradox (Platinum Records/Bigwax)