Mais qui est Panthère Première ? Depuis 2017, la revue s’est fait un petit nom dans l’édition indépendante. Bel objet de 100 pages, la revue adresse les questions sociales du point de vue des minorités. On fait les présentations.
Graphique et intelligente, la revue Panthère Première fait peu à peu ses griffes dans l’édition indépendante. En juin 2019, son quatrième numéro (pour l’été) est sorti dans les librairies. On y trouve 100 pages d’illustrations pop et de longs formats mêlant points de vue minoritaires et critique sociale.
« La revue est partie d’un grand enthousiasme. Celui d’écrire, de faire de la recherche, d’imaginer un objet ensemble… », raconte Julia B. Zortea. En 2017, elles sont une quinzaine de filles à se retrouver autour d’une passion de la microédition. Elles collaborent à Jef Klak, CQFD ou Article 11. « On se croisait souvent et on se disait que ça serait bien de créer la revue de nos rêves entre nanas », décrit-elle. Au début de l’automne, elles lancent des réunions de brainstorming où chacune raconte ses attentes. « On s’est dit qu’on voulait une revue accessible en termes de prix et de format, quelque chose qui ne ressemble pas à un objet d’art », se souvient-elle.
Inventer un contre-modèle de revue
Derrière Panthère Première, il y a un collectif d’une quinzaine de filles. Elles animent ensemble un comité éditorial, en non-mixité. « C’était un bon instrument pour ne pas reproduire les schémas classiques des ordres dominants et réfléchir à des sujets qui peineraient à se faire jour dans des comités mixtes », explique Julia B. Zortea. Au gré de leurs expériences dans les revues indés, elles se sont lassées des « mecs qui captent et monopolisent les espaces d’écriture » ou encore du « partage des tâches ultra-rigide » qui cantonne souvent les femmes aux missions plus invisibles de relecture, de correction, et aux tâches administratives.
Depuis leur création, elles cherchent à façonner un autre modèle, plus « égalitaire et horizontal ». Le défi est d’abord logistique, puisqu’elles se partagent entre Paris, Marseille et Lyon. Elles échangent beaucoup par mail et rendez-vous Skype et organisent des rencontres-débats dans les librairies indés. « Ce ne sont pas toujours les mêmes personnes qui présentent la revue », précise Claire Richard, Panthère parisienne. Autrice radio (il faut écouter ses affolants Chemins de Désir sur Arte Radio), elle voit dans cette non-mixité « un socle d’expériences partagées, des réflexions sur le rapport au savoir et à la légitimité ».
Dans le collectif, le féminisme est un acquis qui tente de guider la façon de communiquer. « On a développé des modes d’attention à la prise de parole et à la circulation de la parole entre nous », raconte-t-elle. La plupart sont autrices, éditrices ou vidéastes et doivent jongler entre chômage et missions freelance. « Panthère Première s’invente dans un assez grand précariat », confie Julia B. Zortea. Conscientes de ces réalités, elles tentent de veiller sur chacune et de déminer les conflits. « Il n’y a pas d’horizontalité parfaite, ce n’est pas une utopie. Mais il y a quelque chose d’extrêmement agréable. On a formé des liens souples, entre proximité et distance », décrit Claire Richard.
Fabriquer de la poésie politique
Le numéro 4 de Panthère est un bel objet en papier bleuté. Sur le côté, on peut lire un sommaire patchwork : « Internet féministe / Croisières toxiques / Odyssée d’une traduction… « La revue se veut généraliste. « Les sujets qui nous intéressent nous mettent souvent en jeu d’une façon ou d’une autre. On travaille sur les manières dont le politique imprègne le quotidien, l’intime, le proche… Et en même temps, on travaille sur les manières de se débattre – de la domination et de situations imposées… », développe Julia B. Zortea.
Panthère Première, c'est 100 pages pour 8 euros. La revue s'achète en librairie ou par abonnement. L'abonnement, c'est la manière la plus directe de soutenir l'économie de la revue.
Nouveauté, on peut même payer en ligne. Youhou !https://t.co/B02zvmAWqe pic.twitter.com/4fSDqklXTx— Panthère Première (@PPlaRevue) May 24, 2019
Pour ce numéro estival, elles s’attaquent au plus grand (et névrotique) des topos : la famille. A travers un grand dossier, elles explorent les liens entre foyers, systèmes politiques et (dé)construction de la filiation. Pour le présenter, elles ont écrit à plusieurs mains un édito : « Qu’on la prenne pour modèle ou pour cible (…) on revient toujours [à la famille], même si c’est pour y mettre le feu ». Elles ont choisi de l’illustrer avec un visuel corrosif, réalisé par Amélie Laval. L’illustration imagine les prescriptions médicales d’un certain « Ministère de la Famille ». Dans un montage photo, on voit une pharmacopée de flacons aux noms imaginaires : « eau de perpétuation du patriarcat », « talc d’invisibilité pour employées domestiques » ou encore des « gélules de mimétisme biologique ». Panthère est un mélange de grrr et de poésie.
Une écriture de l’expérience de soi
« Dans la mesure du possible, on fait en sorte que nos papiers soient écrits à partir de points de vue situés », indique Julia B. Zortea. Dans le dossier sur la famille, c’est Amandine Gay, réalisatrice noire et adoptée, qui raconte l’adoption internationale et la migration forcée. Julia B. Zortea, traductrice, a écrit une BD (dessinée à l’aquarelle) sur Emily Wilson, première femme à avoir traduit l’Odyssée d’Homère. Elle raconte comment chaque choix d’adjectif pour décrire Ulysse, Pénélope et ses prétendants s’est teinté de male gaze et de culture du viol.
« Panthère Première, c’est un nom qui charrie toute une série d’imaginaires – animal politique, chaîne de télé, rime absurde », songe Julia B. Zortea. C’est aussi une référence poétique à Dante. « Il cherchait en vain la ‘Panthère’, une langue qui rassemblerait tous les dialectes italiens dans une langue unifiée. La Panthère, c’est une langue impossible, la langue qu’on cherche et qu’on ne parvient jamais à trouver », détaille-t-elle. Entre recherche de forme et transmission de savoirs, Panthère veut tracer sa route. Le prochain numéro, dédié aux luttes des femmes dans l’écologie, sortira en février 2020. Le temps pour le collectif de souffler un peu.