Transformant le “Dom Juan” de Molière en un spectacle fleuve où chaque seconde est jouissance, Marie-José Malis acte de la fin du mythe du héros libre-penseur dans une splendide épiphanie théâtrale. Reprise au théâtre de la Commune du « Dom Juan » de Molière dans la remarquable mise en scène de Marie-José Malis.
S’agissant de Dom Juan de Molière, on sait gré à Marie-José Malis de commencer par déshabiller la cage de scène pour que l’espace même de la représentation soit un relaie des promesses érotiques de la pièce. Corps alangui enlaçant les spectateurs d’une simple avant-scène qui pénètre à jardin dans la salle, la sensualité du geste scénographique donné au plateau s’accorde à l’impudeur des dégagements laissés à vue vers les coulisses à cour et à la mise à nu de la machinerie.
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Comme un premier blasphème dans cette pièce où l’on ne cesse d’en appeler au Ciel, on devra se contenter dans ce théâtre qui ne croit ni à Dieu ni à diable de la très matérialiste présence d’un acteur intervenant dans les cintres pour que l’inquiétant ballet des perches métalliques suffise à incarner un courroux divin qui s’amplifie à chaque nouvelle provocation de Dom Juan.
Une subtile musicalité mozartienne
A la justesse de l’effeuillage de la fabrique théâtrale s’ajoute le désir de ramener le texte à la source de ses mots. S’affranchissant de la vaine course des répliques, le parti pris de Marie José Malis acte du déploiement des vertiges de la pièce en s’immisçant dans les profondeurs de chacune de ses phrases. Sans parler d’un théâtre souhaitant se mesurer au lyrisme de son double mozartien, le spectacle se réclame d’une musicalité subtile qui l’accompagne de scène en scène et multiplie ses lignes de fuites en puisant à Giya Kancheli, Darius Milhaud, Bach, Beethoven et Schubert pour ne citer qu’eux.
Pas question pour autant d’en faire une messe laïque. C’est l’idée d’une comédie tourmentée infusant dans les troubles chaos de notre époque qui guide Marie José Malis. Amoureuse offensée dans sa dignité, Elvire nous chavire, plus libre que jamais dans l’interprétation à fleur de peau de Sylvia Etcheto. Sganarelle (Olivier Horeau) hérite sans ambiguïté des fastueuses marges de manœuvre offertes par la Commedia dell’arte. Puisqu’il est en guerre contre tout ce qui enferme les êtres, Dom Juan (Juan Antonio Crespillo) devra payer de sa personne en n’étant jamais à l’abri de se prendre des claques de la part de son valet.
S’amusant de cette légèreté populaire en pleine lumière pour régler les rapports, Marie-José Malis se refuse à dresser sur un piédestal l’éveilleur des consciences et le militant du désir qu’est Dom Juan. Avoir raison contre tous, ne suffit plus à faire de vous un héros quand on reste un gentilhomme jouissant de tous ses privilèges. C’est son incapacité à s’engager pour combattre la misère du monde qui condamne aujourd’hui Dom Juan à sa relégation. Mais comment faire le deuil de cette révolte qu’il incarne et que l’on continue de nommer liberté de penser ?
Patrick Sourd
Dom Juan de Molière, mise en scène Marie-José Malis. La Commune, centre dramatique national d’Aubervilliers, jusqu’au 14 octobre. Intégrale, 4h30 sans entracte.
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